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vue en aucun pays. L’Angleterre agricole d’autrefois a presque complètement disparu ; elle a trouvé dans la houille et dans le fer, dans la laine et dans le coton, les matières premières d’une industrie colossale ; sa fortune, aujourd’hui, est fondée sur l’industrie et sur le commerce. Elle a besoin de marchés, car elle vit d’exportation ; sans exportation, elle ne mangerait pas ou elle se ruinerait pour manger. Pour son alimentation, elle achète au dehors, chaque année, une quantité de denrées alimentaires valant, en moyenne, quatre milliards et demi de francs. Il faut donc que, chaque année, par son industrie, par son commerce, ses bateaux, ses capitaux placés à l’étranger, elle gagne d’abord les quatre milliards et demi de francs qu’elle paye à l’étranger qui la nourrit : c’est la rançon de sa splendeur, c’est, dans sa puissance, sa faiblesse. A aucun moment, a-t-on calculé, l’Angleterre n’a chez elle des vivres pour plus de six semaines. Survienne un événement qui ferme les routes maritimes pendant quinze jours, un boycottage des marchandises britanniques, un blocus général, — image agrandie de celui qu’a tenté Napoléon en un temps où l’Angleterre pouvait encore vivre de son agriculture, — et voilà la famine menaçante, la population affolée, la catastrophe ! Toute concurrence industrielle, commerciale ou maritime menace l’Angleterre dans les sources mêmes de sa vie. Une crise économique a pour elle des conséquences plus graves, plus immédiates que pour tout autre pays ; elle peut arrêter la marche des usines, augmenter dans des proportions dangereuses le nombre de ces unemployed (ouvriers sans travail) qui constituent déjà, en pleine paix politique et économique, une si lourde charge pour le budget et, pour la stabilité sociale, un si grand péril.

L’Angleterre gouverne des centaines de millions d’individus de toutes couleurs, rien qu’aux Indes près de 200 millions. Il lui faut maintenir la cohésion parmi les élémens disparates de cet empire immense, veiller sur les Indes, sur l’Egypte, sur le Canada, sur l’Australie, sur l’Afrique du Sud, garder Gibraltar, Malte, Suez, Chypre, Aden, Singapore, Hong-Kong, tenir en bride les aspirations de ses sujets, prévenir les rébellions, décourager les convoitises. Pour parer à tant de périls, elle n’a presque pas d’armée ; elle compte, sur sa « ceinture d’argent, » sur cette mer que sillonnent ses flottes et dont la protection, depuis l’Armada de Philippe II, ne lui a jamais fait défaut.