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Il y a, dans l’expansion allemande, un côté matériel et un côté idéaliste. Le « matérialisme économique » de Marx y trouverait des argumens, mais aussi l’« idéalisme historique. » L’habitude de la victoire donne aux peuples l’esprit d’entreprise et l’audace des initiatives heureuses. L’essor industriel de l’Allemagne occidentale est né du succès des armées allemandes ; mais, à son tour, c’est lui qui a engendré et rendu indispensable l’expansion commerciale et maritime. Les origines de cet essor inattendu et les causes de son succès ont été souvent et depuis longtemps analysées, trop complètement pour qu’il soit nécessaire d’y revenir[1]. L’industrie allemande s’est rendue redoutable à l’industrie et au commerce britanniques d’abord parce qu’elle disposait des mêmes matières premières, la houille et le fer, et ensuite parce que son outillage entièrement neuf, scientifiquement construit, méthodiquement employé, mettait les usines allemandes en état de supériorité incontestable sur celles d’Angleterre, déjà anciennes, habituées à triompher sans concurrens et devenues routinières. Des mines et des usines de Westphalie, des pays rhénans, de la Saxe, de la Silésie, des ports de la mer du Nord, de la Baltique et du Rhin est sortie une Allemagne nouvelle, commerçante, maritime, libérale, toute prête à disputer à la Grande-Bretagne l’empire des mers et l’empire des affaires et aussi, aux hobereaux prussiens de l’Est, la direction de l’Empire. C’est cette Allemagne nouvelle qui, avec l’empereur Guillaume II, va reprendre, à sa manière, l’œuvre de la conquête allemande et prétendre à l’hégémonie universelle.

Hégémonie : le mot est grec, il exprimait l’action directrice que, par la force des armes ou l’ascendant de leur génie, certaines cités, Sparte, Athènes, Thèbes et plus tard la Macédoine, exercèrent sur l’ensemble des petits Etats helléniques. Le peuple qui possède l’hégémonie a, sur les autres, une sorte de suprématie morale fondée sur la supériorité de la force ; il les représente vis-à-vis de l’étranger. Au moyen âge, le Pape et l’Empereur se partagent ou se disputent l’hégémonie de la Chrétienté ; ils représentent son unité en face des Infidèles. Dans l’Europe moderne, il y a eu, à certaines heures, des nations qui ont paru prendre la suprématie sur les autres : telles l’Espagne au temps de Charles-Quint, la France avec Louis XIV et

  1. Voyez notamment tes ouvrages de MM. Georges Blondel, Maurice Lair, etc.