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adaptés à cette nouvelle conception de la marine. Pour avoir des bâtimens tout à fait appropriés, on créa un nouveau type : on construisit des garde-côtes cuirassés.

Et ce n’est pas tout. Vers cette époque, la cuirasse commençait à tomber en défaveur. La mode était à la torpille et aux torpilleurs. Sans rien supprimer de cette accumulation de défenses antérieurement établies, on mit sur pied tout un immense système de défense mobile composé de flottilles de torpilleurs. Il faut rendre cette justice à l’état-major de la marine que ces flottilles furent organisées et entraînées d’une façon tout à fait supérieure. C’eût été très bien, si ce n’eût été très superflu. Les millions se sont écoulés, inutiles.

Il y a plus encore : la navigation sous-marine est inventée, et à tant de défenses, déjà superposées, viennent s’ajouter encore de nouvelles flottilles de sous-marins. Faut-il s’étonner, après cela, qu’il ne reste plus assez de crédits pour les bâtimens de haute mer ?

Ah ! certes, nos côtes sont bien gardées ! mais n’est-il pas triste de penser que tant d’argent, que tant d’efforts ont été gaspillés à produire un résultat qui a été si exagéré, alors qu’en profitant des perfectionnemens apportés à la construction et à l’emploi des mines sous-marines, on aurait pu obtenir à peu de frais une protection proportionnée aux risques.

Il faut donc condamner tous les garde-côtes cuirassés qui encombrent nos arsenaux et qui grèvent le budget de gros frais d’entretien inutiles ; réduire les flottilles de torpilleurs et les flottilles de sous-marins dans de grandes proportions ; reporter tous les crédits rendus ainsi disponibles sur les bâtimens de haute mer, les seuls qui permettent à la marine de remplir son véritable rôle qui est de protéger la vie extérieure du pays. Construisons des bâtimens de haute mer pour que la marine française soit rendue à sa mission qui doit être de faire flotter glorieusement le pavillon national, non pas seulement sur les eaux territoriales, mais aussi et surtout sur les vastes étendues des mers du globe.

Après bien d’autres exemples que nous pourrions citer, la croisière de la flotte américaine vient de nous démontrer que les sillons éphémères tracés sur la surface des océans par la proue des cuirassés peuvent être féconds à l’égal de ceux que trace la charrue du laboureur. Sachons tirer profit de ces enseignemens.