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prétendu jusqu’à celle de notre Opéra, où nous avons assez d’un Faust.


Supérieur en tout point au Mefistofele qui affecta de le corriger, ce Faust est-il bien un Faust ? Gounod a-t-il pensé vraiment mettre Goethe même en musique ? Ou, très raisonnablement puisqu’il suivait sa nature, et d’une façon qui force la sympathie, tant elle a de sincérité, n’a-t-il voulu considérer qu’un conte d’amour fertile en incidens divers et frappans, un « livret » favorable, bien coupé pour la musique telle qu’il la comprenait ?

On préférerait assurément que les personnages portassent des noms moins lourds. Ils le pourraient sans que rien fût changé à leur être, que le prestige. Ils n’ont que cette espèce d’âme que le premier ténor, la basse-chantante ou la chanteuse légère se constituent des vagues traits d’humanité épars dans leurs rôles du répertoire. Mais s’ils ne vivent pas d’une vie conforme à celle de leurs modèles, l’inspiration d’un véritable artiste les a fait vivre cependant. S’ils s’expriment quelquefois sans beaucoup de force ni d’individualité, ils parlent une langue musicale personnelle et châtiée, intimement significative en ses meilleurs momens. Et pour quelques pages du second et du troisième acte, où la grâce et la tendresse touchent à la beauté, et qui sont uniques dans l’art moderne à porter notre pensée jusqu’à Mozart ; pour une nuance neuve de l’amour qu’elles nous ont apprise, on peut bien pardonner quelque chose au Faust de l’Opéra. Peut-être d’ailleurs cet ouvrage nous apparaît-il un peu déformé aujourd’hui, par les traditions qui se sont à la longue introduites dans son interprétation, et par sa popularité même. Il ne faut pas confondre tout à fait Gounod avec ces musiciens qui ne font que « du théâtre, » au sens étroit et bas de l’expression. Il faut penser à l’époque où Faust fut représenté ; il faut se remémorer les ouvrages qui triomphaient sur la scène française alors qu’il tomba, pour apprécier comme il convient ce qu’il y eut en Gounod d’instinct de la vérité, de délicatesse, d’amour de la bonne musique, et l’originalité de son imagination. Son Faust se tient à l’écart des hautes méditations ; il ne prétend être qu’une attrayante imagerie scénique, docile un peu trop aux règles de la poétique d’opéra, qui s’insère en regard du chef-d’œuvre sans l’offusquer.