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où l’intelligence et le cœur de l’un apparaissent avec tant de largeur, l’orgueil et l’égoïsme de l’autre avec une magnificence que son génie a justifiée. Comme Liszt critiquait la phrase qui dans cette ouverture semble personnifier Gretchen, — et qui est en effet médiocre, — Wagner lui répondit : « Je voulais écrire autrefois toute une symphonie de Faust : la première partie (celle qui est achevée) était : Faust dans la solitude, le Faust qui désire, qui désespère, qui maudit ; le « féminin » lui apparaît seulement comme l’image née de son désir, mais non dans sa divine réalité ; et c’est justement cette image insuffisante de ce qu’il désire qu’il brise dans l’excès de son désespoir. C’était la seconde partie seulement qui devait présenter Marguerite, la femme. » L’explication est spécieuse : on peut la soupçonner de venir après coup. Mais elle convient à ce morceau sombre et véhément, dont le motif principal, avec ses sauts d’octave, indique d’une façon frappante le flux et le reflux de la volonté humaine. Après d’énergiques impulsions, des appels passionnés qui font déjà songer au délire de Tristan, des frissons et des ricanemens, des implorations qui se perdent dans le vide, il s’achève en un geste touchant de mains tendues vers l’instabilité du rêve.


Le plan que Wagner n’avait point réalisé, Liszt l’avait en même temps formé, et pour le mener à bien.

Si merveilleuses qu’aient été chez Liszt l’intuition et la science de l’orchestre, le pianiste en lui demeure indélébile : le Hongrois aussi, avec ses longs cheveux et ses brandebourgs, son panache et ses bottes. Sa composition, généralement assez forte dans le principe, s’abandonne au courant d’une improvisation mal contenue. Son imagination thématique est souvent faible, peu personnelle, médiocrement surveillée. Mais cela mis à part, — qui touche bien, hélas ! au principal, — quelle géniale activité d’invention ! Quelques pages de virtuosité inférieure écartées, pas un, presque, de ses ouvrages qui ne soit gros d’idées novatrices. Aussi, comme on l’a pillé ! Comme on s’est fié à la caducité probable d’un œuvre qui porte les tares de l’époque, de l’homme et de la race ! Qui, de tous les musiciens modernes, ne lui doit quelque chose ? Et combien ont eu, comme M. Saint-Saëns, l’honnêteté d’avouer qu’ils lui devaient beaucoup ? Liszt a fait pour la musique symphonique autant que Wagner pour la musique dramatique ; avec cette différence, qu’il a ouvert des