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prévient qu’il n’a cherché « ni à traduire, ni même à imiter le chef-d’œuvre, mais à s’en inspirer seulement, et à en extraire la substance musicale qui y est contenue[1]. » C’est au contraire la substance pittoresque seulement qu’il s’est assimilée ; et rien ne pourrait mieux, que son illusion même, nous renseigner sur la nature vraie de son art, et sa conception de la musique. Non qu’on ait raison autant qu’il semble, de traiter Berlioz de littérateur ou de peintre. Au point de vue spécialement musical, la technique et le don, — sauf en ce qui concerne l’orchestre, — peuvent paraître contestables chez lui ; mais tout son énorme effort ne tend qu’à la musique considérée en elle-même ; et il a dans l’imagination et dans la volonté tant de ressources, qu’il y atteint quelquefois. Il erre quant à son essence ; et lorsqu’il se sent trop inexpert à lui faire énoncer normalement ce qu’il a conçu, il la torture dans sa forme. Voyez les livrets qu’il s’est lui-même composés. Ils ne sont rien qu’une suite d’occasions à beaux morceaux. « Il n’y a que des effets, a-t-il dit quelque part[2], et il faut savoir les employer. »

Ces « effets » de la Damnation de Faust, Berlioz pouvait encore les coordonner par les caractères des personnages. Il ne semble point s’être occupé de la « psychologie, » — comme nous disons aujourd’hui, — de son ouvrage : et toute la partie dramatique est particulièrement faible. Qu’y a-t-il de l’âme de Gretchen dans l’affectation fade et contournée de sa chanson gothique ? dans la gauche mélodie que Faust lui repasse au duo d’amour ? même dans cet air de l’abandon, qui se développe autour d’une belle phrase, mais d’une beauté purement instrumentale, et qui, jusqu’à l’émouvant élan final, reste si tourmenté, si apprêté, si froid ?

C’est la diablerie surtout qui dans Faust attira Berlioz. Son Méphisto existera peut-être davantage ? Des chansons spirituellement rythmées ; une mélodie d’une beauté charmante ; l’éclair fantastique de certaines touches d’orchestre sur les récitatifs ; dans le Menuet des Follets, quelque chose de l’ironie du sire, de ses prétentions aristocratiques et de sa grossièreté foncière, le sabot sous le manteau : mais où est sa pensée corrosive, où son immonde sensualité ?

  1. Mémoires de Berlioz.
  2. Dans un article du Correspondant sur la musique classique et la musique romantique (22 octobre 1830) cité par M. Adolphe Boschot (la Jeunesse d’un Romantique, p. 451).