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fou de mettre en musique les deux Faust tout entiers ? Plus vraisemblablement, a-t-il voulu de quelques fragmens capitaux élever son monument à Gœthe, tel, ou à peu près, que nous le possédons ? Ce drame d’élans inachevés, d’amertumes recreusées, de radieux espoirs, cette philosophie nébuleuse, cette rêverie bouillonnante, cette humanité grandiose et misérable devaient éveiller en lui bien des échos. Selon son génie propre, qui n’était pas du tout visuel, il a éliminé le pittoresque et les réalités contingentes, jusqu’en des morceaux purement décoratifs, tels que les merveilleux paysages qui ouvrent la seconde et la troisième partie de son ouvrage. Selon le génie de la musique, il n’a considéré de ces choses que le reflet dans l’âme de Faust : ou pourrait dire des épisodes mêmes où Faust chante à peine ou pas du tout, qu’ils se passent au fond de son âme, comme on a dit du Crépuscule des dieux, où Wotan ne fait qu’apparaître au dénouement, que le drame tout entier s’agite dans l’âme de Wotan.

Et en vérité, Faust n’est-il pas l’unique personnage du poème de Gœthe ? Méphistophélès et Marguerite sont-ils des créatures autonomes, ou seulement ses idées et ses sentimens extériorisés, réagissant sur lui ? Le drame est-il autre chose qu’une personnification de ces mouvemens qui ballottent le cœur de l’homme, entre l’ardeur et le dégoût de vivre ? Et si la musique seule exécute simultanément l’analyse et la synthèse de notre nature, ce sera son rôle de donner une réalité harmonieuse à tant de latentes complexités.

Schumann, instinctif et sensible, ne nous donne que la synthèse. Le regard impuissant à bien mesurer de vastes proportions, il a l’intuition cependant de la nécessité d’une forme personnelle. Son Faust se divise en trois livres : le livre humain, le livre philosophique et le livre mystique. Le premier est assurément trop bref : trois fragmens de l’histoire de Gretchen, sans développement, que rien ne prépare ni ne relie. Pour l’ouverture, Schumann avait hésité jusqu’à ses dernières années, « la tâche lui paraissant trop difficile. » Le morceau est noble de pensée, mais il bégaie cette pensée et piétine, sur un rythme ambigu, comme dans une atmosphère ouatée de toiles d’araignées, où luisent sourdement des cuivres poudreux et des cristaux obscurs. Schumann a mieux exprimé la rêverie frénétique d’un Faust dérivé, le triste Manfred, et son déséquilibre, hélas !

En revanche, la « scène du jardin » est toute grâce et fine