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gouvernemens et des deux pays. Tout le monde sait qu’il y a entre eux une certaine défiance : elle tient à des causes assez profondes, mais dont il n’est pas impossible à une diplomatie avisée d’empêcher les résultats de devenir funestes. On croit en général, en Allemagne, que le roi Edouard est l’auteur principal de ce qu’on a appelé l’« encerclement » de ce grand pays ; mais d’abord, le mot n’est pas exact, puisque l’Allemagne a deux alliés, l’Autriche et l’Italie ; ensuite, il ne correspond pas à un plan préconçu qui aurait pour objet de placer l’Allemagne dans un isolement inquiétant pour elle. Les formations politiques de l’Europe se sont faites spontanément, par la force ou plutôt suivant la logique des choses, lorsque, après la disparition de Bismarck et de ses méthodes, on a voulu faire reposer la paix sur sa base naturelle, qui est l’équilibre entre les puissances.

Nous reconnaissons volontiers, et nous l’avons déjà fait souvent, que l’ancien système, celui que Bismarck maintenait de sa main rude et forte, n’avait pas pour objet la guerre, et la preuve en est qu’elle n’en est point sortie ; toutefois, il ne ménageait pas assez la liberté et la dignité des autres nations ; et puis tout change, tout évolue dans le monde, les procédés d’une époque et d’un homme ne peuvent pas durer éternellement. Mais si la Triple-Alliance d’autrefois, qu’il serait plus exact d’appeler l’hégémonie allemande, n’a pas conduit à la guerre, pourquoi le système actuel y conduirait-il ? Il a été incontestablement fait en vue de la paix, et toutes les fois qu’un danger de guerre est apparu quelque part, jamais de plus grands ni de plus unanimes efforts n’avaient encore été faits pour le conjurer. Il semble que l’Europe soit, non seulement pacifique, mais pacifiste : si elle a eu dans d’autres temps la folie de la guerre, elle a aujourd’hui la superstition de la paix. Il faudrait croire à une hypocrisie sans précédens pour prêter des desseins belliqueux à une puissance quelconque. Néanmoins, et l’empereur d’Allemagne l’a dit à maintes reprises, il faut rester fort pour que la paix soit sûre : aussi tout le monde s’y applique-t-il. La question des armemens maritimes se présente en ce moment en Angleterre comme demain, peut-être, elle se présentera chez nous. Chacun veut ne devoir sa sécurité qu’à soi-même, bien que nul ne songe à troubler celle d’autrui. Et on le voit, à la longue tout s’arrange. Qui aurait cru, il y a dix ans, que nous marchions à l’entente cordiale avec l’Angleterre ? Qui aurait dit, il y en a quatre, que nous ferions un arrangement amical avec l’Allemagne à propos du Maroc ? L’entente cordiale s’est étendue et comme prolongée de l’Angleterre à la Russie, et cela encore aurait été difficile à prévoir il y a quelques années.