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démonstration, ne l’a point faite ; il a essayé d’établir des distinctions impossibles ; il s’y est embrouillé lamentablement. — Les officiers, a-t-il dit, ont le droit d’aller à la messe, mais ils n’auraient pas dû aller à celle-là. — Pourquoi ? a demandé M. Denys Cochin. Est-une question d’heure : Peut-on aller à la messe de huit heures, mais non pas à celle de neuf ? — La vérité est que le gouvernement a donné dans cette affaire la preuve d’une intolérance dont la forme, pour être un peu puérile, n’en est pas moins condamnable. Que M. Denys Cochin l’ait dit, personne n’en a été surpris ; on s’attendait moins à entendre M. de Pressensé soutenir la même thèse. Comme président de la Ligue des Droits de l’homme, M. de Pressensé a montré à plus d’une reprise que son libéralisme intermittent ne se manifestait pas toujours en dehors de toute acception de personnes. Bien qu’il ait paru l’avoir oublié, il n’a pas toujours eu pour la liberté d’opinion des militaires les mêmes ménagemens qu’aujourd’hui. Le débat a bientôt dégénéré en un corps à corps entre M. Clemenceau et lui. Les deux hommes se connaissent bien, trop peut-être ; ils ont combattu du même côté de la barricade dans la funeste affaire qui a coupé le pays en deux ; mais ils n’ont pas rapporté de cette confraternité d’armes une sympathie mutuelle bien profonde, ou, du moins, bien durable. Elle n’a pas résisté à la première épreuve. Le mot de palinodie est un des moindres que les deux orateurs ont échangés. Il y en a eu d’autres que le Journal officiel n’a pas entendus. Enfin M. Clemenceau, emporté par la colère jusqu’à une aberration inconcevable, a accusé M. de Pressensé de n’avoir pas eu l’attitude qu’il aurait dû avoir dans une affaire d’honneur où il avait été son témoin. Les explications données par la suite ont montré que l’allégation était inexacte ; mais que nous importe, et en quoi cela intéressait-il la Chambre ? M. de Pressensé a été cruel pour M. Clemenceau ; M. Clemenceau a été perfide et brutal contre M. de Pressensé. Des deux adversaires, celui-ci est sorti le moins égratigné du conflit ; mais, parlementairement, le premier en est sorti vainqueur. Les socialistes unifiés ont généralement voté contre le ministère, et M, Jaurès a expliqué le lendemain, dans l’Humanité, que les militaires étaient des citoyens comme les autres, qui avaient les mêmes droits et devaient jouir des mêmes libertés de droit commun. La plupart de nos discussions, lorsqu’elles ont un objet moral, aboutissent à la plus parfaite cacophonie, parce qu’il n’y a plus nulle part une autorité assez respectée pour faire prévaloir une conclusion raisonnable, et les socialistes unifiés, embusqués dans leur coin, en profitent pour pousser l’ordre politique et