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lourdes. Mais il y en a d’autres, de nobles, de pures et vraiment ailées.

Dans la Statue, on en trouverait même de vives et de spirituelles. La Statue est un ouvrage à ne pas voir, — la dernière reprise, à l’Opéra, l’a bien prouvé, — mais à relire, par endroits. Le second acte forme un excellent petit tableau de genre, et du genre oriental. Ce n’est pas un paysage, à la manière poétique et rêveuse de Félicien David, mais plutôt une scène, pleine de verve et de couleur, de la vie populaire. L’Orient a bien des aspects. Félicien David avait choisi les plus calmes, ceux de l’espace et de la solitude, ceux du silence, ou de la prière, et de la nuit. Restaient les plus animés : le jour, le soleil, et, dans les rues des villes arabes, le mouvement, le tumulte et le bruit. Reyer les connaissait bien, les matins d’Alger ou du Caire, vibrans de lumière et de son. Tout jeune, il avait entendu le cri des âniers poussant leurs bêtes, le sifflement des dévidoirs chargés de soie et d’or, et le tintement des gobelets de cuivre que les marchands d’eau fraîche entre-choquent. Le second acte de la Statue est une « Orientale » de ce genre-là, quelque chose un peu dans le goût de la Sortie de l’école turque. De quoi s’agit-il ici ? De la noce d’une jeune demoiselle de là-bas avec son oncle, un vieux et grotesque pacha. La foule des amis accourt, se précipite, se bouscule, et les chœurs, — il y en a plusieurs de suite, — se bousculent aussi. Sur des rythmes changeans, c’est un jaillissement, un rebondissement continu de questions et de réponses, de félicitations, de salamalecs, et le glapissement périodique de l’eunuque achève ou plutôt couronne de ses notes perçantes l’ensemble de cette amusante turquerie.

Pour aller, en montant, de la Statue à Sigurd, à Salammbô, c’est dans une autre scène de la Statue elle-même qu’on trouverait peut-être le passage. Margyane à la fontaine annonce Brunnhilde, auprès d’une source à son tour, et la fille d’Hamilcar ensuite, errant, à la clarté de la lune, sur les terrasses de son palais.

Il semble qu’on se soit toujours trompé sur le compte du compositeur de Sigurd et de Salammbô. On l’a pris pour un grand musicien, je veux dire pour le musicien de la grandeur. Il ne fut jamais que celui de la grâce, d’une grâce encore une fois très noble, très grave, très pure, souvent mélancolique, auguste si l’on veut et, par endroits, assez près d’être héroïque, mais celui de la grâce surtout, de la grâce seulement. Toutes les scènes de Sigurd et de Salammbô qui visent à la puissance, à l’épopée, ne sont que banales, à moins qu’elles ne soient bruyantes, brutales même, j’allais dire grossières.