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Elles arrivèrent à une heure avancée de la soirée et eurent beaucoup de peine à obtenir un coin de chambre. Le lendemain, l’abbesse, qui n’était autre que la mère Agnès de Sainte-Thècle, la tante de Racine, fit à ces demoiselles ses excuses pour l’accueil un peu rude qu’elles avaient reçu ; sur quoi, la principale demoiselle la remercia et lui dit des choses fort spirituelles et fort justement appliquées. « Ces pieux complimens, ces civilités tirées de l’Écriture, ces paroles de modestie sincère et cérémonieuse, ce je ne sais quoi de spirituel, au double sens du mot, qui donne tant de grâce aux propos monastiques, voilà bien le ton de Port-Royal. » Treize ans plus tard le malheur devait s’abattre sur ce vallon et le plonger dans la pire des solitudes, celle des ruines et de la dévastation.

Cependant, à l’appel de l’historien, les ombres de ceux qui vécurent ici se raniment, les fantômes sans os reprennent couleur et vie. Nous n’y rencontrerons pas les figures de premier plan, les Pascal et les Arnauld. Ceux-là étaient trop personnels ; ils étaient Pascal et Arnauld, quoiqu’ils prissent à tâche de se confondre parmi les « messieurs. » Et c’eût été leur faire tort de présenter, au lieu du portrait en pied auquel ils ont droit, leur silhouette projetée sur de vieux murs. Mais d’autres, un Nicole, un Duguet, qui furent plus effacés, porteront témoignage pour l’esprit de la maison. Et d’autres qui ne furent que des comparses méritent d’être tirés de l’oubli, tant il y a de romanesque dans la destinée de ces âmes éprises de vertu difficile et de pieuses aventures ! Songez que beaucoup des domestiques de Port-Royal furent des personnes de condition qui, sous un faux nom, par esprit de pénitence, par amour de la sainte maison, acceptèrent de servir dans le monastère !

Et les grandes journées de Port-Royal ressuscitent dans leur décor historique. Telle cette journée du 26 août 1664 où huit carrosses à la file, sur les deux heures de l’après-midi, pénétrèrent avec fracas dans la cour de Port-Royal et s’arrêtèrent devant la porte de l’église. Ils amenaient l’archevêque de Paris, Hardouin de Péréfixe, et le lieutenant civil et le prévôt de l’île, et le chevalier du guet, et quatre commissaires vêtus de leurs robes. Au même moment, vingt exempts et quatre-vingts archers allèrent se poster au coin des rues et au seuil de la grand’porte. D’autres formèrent la haie dans la cour, le mousquet sur l’épaule. Ce jour-là, on procéda à l’enlèvement de douze religieuses de Port-Royal… À ces scènes tragiques si vous en préférez de plus gaies, je vous recommande le chapitre consacré à l’abbaye de Maubuisson. Depuis le jour où Henri IV confia cette