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les ingénieurs des ponts et chaussées qui bouleversent de leurs monstrueux « ouvrages d’art » les côtes pittoresques, ce sont les conseillers municipaux soucieux de stimuler le zèle iconoclaste de la démocratie, ce sont les maires et les préfets, agens du prétendu Progrès, c’est la Ville, c’est la Chambre, c’est l’État. Ce sont encore ceux qu’il appelle les Ennemis de Paris. « Dans une des caves de l’Hôtel de Ville siège une société secrète, mais puissante, composée d’architectes et de fonctionnaires. Son but est d’enlaidir la capitale. Elle s’appelle la Société des Ennemis de Paris. Depuis quelques années, elle redouble d’activité, et ne compte plus ses victoires. Elle encourage les propriétaires à bâtir toujours plus haut ; elle exhorte les commerçans à couvrir de pancartes les plus belles façades ; elle élabore à l’usage des architectes timides des plans biscornus et des élévations extravagantes ; elle découvre et signale les endroits où les constructions folles seront le mieux placées pour outrager un monument admirable ou gâter une belle perspective. » Aucun terme ne lui paraît trop fort pour signaler les méfaits de ces barbares et leurs projets détestables… On sent bien que s’il connaissait un mot plus détestable que « détestable, » c’est celui-là qu’il emploierait.

On voit maintenant en quoi consiste cette « Flânerie » dont M. Hallays a réussi à faire un genre littéraire et où il a mis sa marque originale. C’est celle d’un badaud qui est un artiste et dont les yeux sont ravis par toutes les sortes de la beauté, que ce soit celle du paysage ou celle des monumens. C’est celle d’un amoureux du passé, qui, au lieu d’aborder l’histoire de front et par la voie des recherches méthodiques, préfère employer une manière détournée, mieux en accord avec une sorte de paresse naturelle, cette paresse qu’il n’est pas rare de constater chez de grands travailleurs. Il en fait quelque part l’aveu : son imagination nonchalante exige pour se mettre en branle la vision des vieux décors et la suggestion des paysages. Or, dans aucun pays mieux que dans le nôtre le promeneur ne trouve ce charme d’impressions variées, ce divertissement alterné des yeux et de l’imagination : « l’histoire évoquée par l’élégante tourelle qui surgit au faîte du coteau chargé, de verdures et de fleurs, le paysage entrevu dans le cadre exquis que lui dessine la croisée d’un vieux logis, le murmure du passé mêlé au chantonnement des rivières sinueuses et au frémissement des peupliers, les longues routes égayées de belles ruines, de vallées ombreuses et d’anecdotes imprévues. » Ce sont aussi bien tous ces élémens qui se mêleront en un tout harmonieux dans chacune de ses études.