Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 49.djvu/907

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’idéal dont l’expression est faite pour des lèvres harmonieuses et amies du nombre. »

Dès qu’il s’agit de la forme et de la musique des vers, Leconte de Lisle n’est pas moins intransigeant, à l’égard des amis qu’il admire le plus qu’il ne l’est pour soi-même. On a retrouvé parmi les lettres qu’il a adressées à Louis. Ménard un billet où il dit :

« Tes vers de dix pieds sont on ne peut plus antiprosodiques ainsi mêlés aux hexamètres, et cela est d’autant plus déplorable qu’ils sont très bien faits en eux-mêmes. J’aurais beaucoup préféré que toute la pièce fût écrite en vers de dix pieds. C’est une de nos vieilles querelles. »

On le voit, l’adaptation des rythmes à l’idée, et leur rapport entre eux était, pour Leconte de Lisle, une préoccupation très vive.

Une note manuscrite inédite, classée dans ses papiers, a pour titre : De l’expression de la forme poétique. Elle dit :

« On confond souvent la prosodie et le rythme. La prosodie est l’art de construire le vers ; le rythme résulte de l’entrelacement harmonique de plusieurs vers constituant la strophe. C’est par suite de cette confusion de termes que Victor Hugo passe pour un grand inventeur de rythmes, bien qu’il n’en ait jamais inventé un seul : tous les rythmes dont il s’est servi appartiennent aux poètes du XVIe siècle. »

Théodore de Banville, maître en la matière, et qui sacrifia souvent, sans hésiter, la pensée aux raffinemens de la forme, écrivit à Leconte de Lisle après une lecture des Poèmes tragiques :

« Devant de si hautes conceptions, faut-il oser louer l’invention des rythmes de vos admirables Pantoums ? C’est comme un double chant, si l’on peut dire majeur et mineur. Une des pensées, une des idées, une des images soutenant l’autre, comme un accompagnement. »

On s’attendait à ce que Leconte de Lisle, dans son Discours de réception à l’Académie française, fit une part importante à ces préoccupations professionnelles et qu’il donnât la théorie d’un art qu’il avait porté à sa perfection. Il n’en fit rien, et ce ne fut point par hasard, mais de propos très délibéré que le nouvel élu demeura muet sur ces questions techniques. Il était là-dessus de l’avis de Louis Ménard qui, au lendemain de la