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de Leconte de Lisle, — ces vers dont il a jeté les cendres au vent, et dont quelques-uns ont été conservés malgré lui, — on constate que, lui-même, longtemps avant d’avoir acquis la moindre virtuosité de métier, il possédait l’inspiration poétique, le tressaillement, l’instinct, le goût ; il parlait alors de son art comme il l’a fait dans sa maturité. On a une lettre qui date de son adolescence et qu’il écrivit à un camarade, dont il avait reçu un petit poème. Il se déclare touché « de la fraîcheur du sentiment, » mais « blessé des épithètes forcées, des rimes moins que suffisantes, du vague de la pièce. » Et ce n’était pas seulement aux productions de son ami qu’il avait songé en formulant cette critique, mais aux vers que lui-même il écrivait « sous l’influence d’idées inconscientes d’abord, réfléchies ensuite. »

Le jour où il était sorti de cette « inconscience, » il ne s’était plus contenté des formules lyriques dans lesquelles se soulagent tous les enthousiasmes de jeunesse. Il avait rêvé d’enfermer sa pensée dans une formule précise.

« La poésie, dit-il alors, c’est l’inspiration créatrice et spontanée, le sentiment inné du grand et du vrai. La poésie est trois fois générée : par l’intelligence, par la passion, par la rêverie. L’intelligence et la passion créent les types qui expriment des idées. La rêverie répond au désir légitime qui entraîne vers le mystérieux et l’inconnu. La poésie est l’expression éclatante, intense et complète de l’art. »

Ces citations correspondent sans doute à la vision générale que Leconte de Lisle avait apportée de la poésie, en naissant. Elles précisent le don particulier que la culture développa en lui et qui fut le lyrisme épique.

« La part propre de Leconte de Lisle dans l’évolution de la poésie contemporaine, a écrit Brunetière, est d’y avoir réintégré le sens de l’Epopée. » Et, au moment même où il fait remonter cette gloire à l’auteur des Poèmes barbares, le critique ajoute que ses poèmes sont tout différens de la Légende des siècles : « S’il faut, » conclut-il, « que l’un des deux poètes ait « imité » l’autre, c’est Victor Hugo, puisqu’il n’est venu qu’à la suite[1]. »

Pour ce qui est du don lyrique, nul, en dépit d’une feinte impassibilité, ne posséda, à un degré plus haut que Leconte de

  1. L’Évolution de la Poésie lyrique en France.