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fut le complément que le goût et la culture de la science apportaient au développement général de ce noble esprit. Avant de philosopher, de s’occuper de culture grecque, d’écrire des vers, Ménard avait travaillé dans le laboratoire du chimiste Pelouze. Il avait reconnu la solubilité du coton-poudre dans l’éther, et la photographie lui a dû le perfectionnement du collodion. Un autre intime ami du poète, le Breton Paul de Flotte, se livrait à des études sur l’hélice qui le firent nommer lieutenant de vaisseau au choix.

Persuadé que la Vérité est encore le plus sûr moyen d’arriver à la Beauté, Leconte de Lisle déclara dès sa première jeunesse qu’il était « soucieux de mêler un peu de science à ses pièces de poésie. » Et cette passion de la science ne fit que croître en lui. Il ne s’agissait pas de mettre en vers, comme on faisait il y a cent ans, à la manière de l’abbé Delille, les Trois règnes de la Nature. Leconte de Lisle était d’avis, avec Taine, que « pour atteindre à la connaissance des causes permanentes et génératrices qui influent sur lui, l’homme a deux voies : la première est la science, par laquelle, dégageant ces causes et ces lois fondamentales, il les exprime en formules exactes et en termes abstraits ; la seconde est l’art, par lequel il manifeste ces mêmes causes et lois fondamentales d’une façon sensible, en s’adressant, non seulement à la raison, mais au cœur et aux sens. L’art a cela de particulier qu’il est à la fois supérieur et populaire : il manifeste ce qu’il y a de plus élevé, et le manifeste à tous. »

« La science est l’étude raisonnée et l’exposition lumineuse de la nature extérieure, » écrit Leconte de Lisle. » C’est son rôle de rappeler à l’art le sens de ses traditions oubliées pour qu’il les fasse revivre dans les formes qui lui sont propres… L’art et la science, longtemps séparés par des efforts divergens de l’intelligence, doivent donc tendre à s’unir étroitement, si ce n’est à se confondre… »

La façon dont le poète a réussi finalement à unir dans ses vers la science et l’art lui ont valu les approbations les plus chères à sa conscience d’artiste. On devine avec quelle joie d’avoir été si pleinement compris et approuvé, il put lire dans les leçons sur l’Évolution de la poésie lyrique de Brunétière, ces lignes qui le concernent :

« La science et la poésie ne sont pas la même chose, mais elles ont les mêmes racines dans les profondeurs de l’esprit,