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par exemple en peinture, figèrent la représentation des types divers de la beauté féminine dans les images anonymes, des « Quatre Saisons. »

Des insuffisances identiques flétrissaient, au même moment, la prose et encore plus les vers. L’indignation de Leconte de Lisle contre les rimeurs de romances, dont la vague pensée s’éclairait des vignettes dessinées sur des couvertures de recueils musicaux ou poétiques, correspond aux colères des rénovateurs de la peinture française qui voyaient l’histoire devenir, entre certaines mains, une matière à illustrations anecdotiques.

Du moins, dans l’ordre de la prose, des hommes comme Stendhal et Mérimée avaient-ils commencé de donner, à côté de leur esthétique, l’admirable exemple de ce que l’on nomme le « caractère » en art. Les études italiennes de Stendhal et les portraits que Mérimée avait faits de Carmen et de Colomba dégageaient de la convention ces traits d’individualisme, ce particularisme des milieux et des types qui, comme le relief à la médaille, donnent toute sa valeur à une observation littéraire. Mais dans le camp des poètes, on s’attardait davantage. L’harmonie musicale des vers de Lamartine empochait ses lecteurs de regarder de près à la logique, à la clarté, au sens. Le romantisme d’un Musset charmait trop, pour qu’on s’appliquât à rechercher si son expression était suffisante. Enfin on ne voulait pas s’apercevoir que, malgré le génie du poète, les Orientales d’Hugo portaient le sceau d’une convention aussi éloignée de la vérité que les keepsake des « Quatre Saisons ; » les « aimées » et les « baigneuses » du poète n’avaient pas plus de réalité que les « Printemps » et les « Automnes » coiffés de fleurs et de raisins.

Leconte de Lisle estima que le travail d’érudition auquel se livrait, sous ses yeux, un Gustave Flaubert avant d’écrire Salammbô ou la Tentation de Saint Antoine, était aussi nécessaire au poète qu’au prosateur. Selon lui, pas un mot, pas une comparaison qui ne fussent des traits de vérité, ne devaient entrer dans ce vers parfait dont il rêvait l’avènement.

Un tel effort suffisait à absorber l’activité d’un artiste, même doué de génie. Leconte de Lisle s’en avisa dès son adolescence. On a de lui une lettre de jeunesse où il subordonne le goût de la femme au culte de l’art. Il y traite Eve de créature inférieure, « parce que ses propres sentimens l’occupent plus que l’Idée de