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un public de Parisiennes, de femmes élégantes et instruites. Très galamment, il exaltera la femme, pour flatter son public féminin. Il protestera contre la légende qui fait de la femme musulmane une esclave imbécile et misérable, alors qu’au contraire, on lui donne, avec l’instruction, le bonheur et la liberté. Chez nous, dit-il en substance, « toutes les charges de la vie incombent aux hommes pour rendre les femmes heureuses. » Et, après avoir annoncé la disparition prochaine de la polygamie, il termine par cette déclaration sentimentale, qui dut provoquer bien des applaudissemens : « Pour ma part, je suis de ceux qui croient que le cœur d’un homme ne peut appartenir qu’à une seule femme ! » — Je ne sais ce qu’en pensait Mustafa dans l’intimité, et je ne l’ai jamais interrogé sur son programme féministe, Mais, en ce moment, où il n’est bruit, dans tout le monde musulman oriental, que de dévoiler les femmes et de leur accorder les mêmes prérogatives qu’aux hommes, ç’a été une grande surprise pour moi de lire le passage que voici, dans des notes de voyages publiées par un des plus intimes amis[1] de ce même Mustafa Kamel : « Ce qui fait, — écrit-il pour ses compatriotes égyptiens, — ce qui fait l’éloge des Tunisiens, c’est la claustration des femmes. Car elles ne sortent que par nécessité ; et, quand elles sortent, elles s’enveloppent avec soin dans leurs voiles, bien différentes des femmes du Caire, qui cherchent à se montrer, à faire voir leurs toilettes et qui, pour sortir, se revêtent de leurs plus beaux habits, se fardent, etc. Durant vingt jours que je suis demeuré à Tunis, je n’ai aperçu, dans les rues, que des vieilles ou des filles. De même dans toute la Tunisie, — et c’est là un titre de gloire pour les Tunisiens ! » — Il me semble qu’ici le changement de clavier est sensible. L’air joué aux Parisiennes diffère étrangement de celui qu’on joue aux dames cairotes.

Bien plus, même lorsqu’ils s’adressent uniquement à des Européens, la pensée de ces Musulmans est encore double. Ils ont beau s’exprimer très correctement en français, les mots dont ils usent ont un sens tout autre que pour nous. Les termes de patriotisme, de liberté, de libre pensée recouvrent pour eux des réalités que nous ne soupçonnons point. Ils parlent à la fois deux langages : l’un pour leur propre esprit, l’autre pour celui

  1. Mohammed Fary Bey, chef actuel du parti nationaliste.