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abus de langage et qu’ils y voient une sorte de prolongement de l’existence sensuelle telle qu’ils la rêvent. Une bibliothèque pornographique c’est, pour eux, comme une annexe interlope du harem. Ils ont un goût si marqué pour les produits licencieux que, dès maintenant, les gens graves s’en émeuvent. Partout, j’ai entendu des gémissemens sur l’invasion de la pornographie. À Beyrouth, les Pères Jésuites la traquaient avec un véritable zèle d’inquisiteurs. Et de fait, chez la plupart des jeunes gens que j’ai visités, an ne trouvait, sur le casier aux livres, ni Michelet, ni Taine, ni Renan, mais en revanche toute une collection de volumes à couvertures coloriées et des plus suggestives.

À cause de cette instruction superficielle, ils ne peuvent imiter que les dehors de notre culture. Prenez un de leurs journaux, ceux qui sont rédigés en français : vous serez d’abord ébloui. C’est le ton de nos premier-Paris, ce sont nos idées, notre phraséologie, nos élégances, nos snobismes et nos inepties. Mais il ne faut pas y regarder de trop près. D’abord, ces bacheliers de l’Université de France parlent un français bien singulier. N’insistons pas ! C’est déjà très beau pour des Égyptiens ou des Turcs de parler notre langue ; nous devons même les en admirer, nous qui ne parlons ni le turc ni l’arabe. Ce qui nous choque à plus juste titre, dans leurs articles et surtout dans leurs livres, c’est le manque de sens critique et des qualités d’ordre qui définissent notre méthode intellectuelle. (Je n’aurais pas le droit de le reprocher à ces Orientaux, s’ils n’avaient été élevés à la française et si nos pédagogues ne se flattaient d’agir, comme ils disent, sur leur mentalité.) Ces disciples hâtivement formés retiennent surtout de notre presse les développemens oratoires, les généralités creuses. Et ainsi ils se donnent l’illusion de brasser des idées générales, eux qui sont encore inhabiles à généraliser[1].

Il est vrai que leurs langues s’y prêtent peu et que, pour cette raison initiale, ils n’y sont point prédisposés naturellement. Le turc et l’arabe ne se plient que difficilement à nos opérations logiques et même à nos habitudes de clarté et de précision. C’est pourquoi les Orientaux recourent volontiers à nos langues européennes, dès qu’ils abordent des sujets plus délicats que ceux de la conversation courante. Écoutez-les causer sur les

  1. Il va sans dire qu’il y a de très honorables exceptions.