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manquera, les locomotives sauteront en route ou se rouilleront sur les chantiers !… D’ailleurs, on les a vus à l’œuvre, ces Égyptiens avant l’occupation britannique. C’était du propre, surtout du temps d’Ismaïl ! De mémoire d’homme, on ne se souvient pas d’avoir assisté à un désordre, à un gâchis pareils, à une gabegie aussi scandaleuse ! Encore y avait-il, en ce temps-là, à la tête de maintes administrations publiques, des Européens qui, tout en se taillant une belle part dans les voleries, contribuaient pourtant à assurer, tant bien que mal, la régularité des services !… » Or, ces propos sans indulgence parurent se vérifier pour moi, lorsque j’essayai d’utiliser la ligne du Hedjaz, où des trains de voyageurs circulent quelquefois. Je sais bien que la Turquie n’est pas l’Egypte. Cependant, de part et d’autre, les habitudes de nonchalance et d’incurie sont également invétérées. Je m’embarquai donc à Damas pour Tibériade, en prenant l’embranchement de Dérat à Kaïffa. Nous dépensâmes environ trente-six heures pour effectuer un parcours d’un peu moins de 200 kilomètres. Les wagons, tout neufs, étaient dans un piteux état de délabrement ; les gares n’existaient guère que sur la carte, et les moindres manœuvres provoquaient un bel ahurissement parmi les employés. Pourtant, cette ligne du Hedjaz est dirigée par deux ingénieurs européens, l’un Français et l’autre Allemand. Que serait-ce si l’administration était purement ottomane ?… A quoi les indigènes répliquent : « Impressions superficielles, ou catomnies gratuites que tout cela ! Cette incapacité dont on nous humilie, c’est de l’histoire ancienne. Nous avons travaillé et fait notre éducation depuis l’époque d’Ismaïl. Nous en fournirons la preuve quand on voudra, nous la fournissons même d’ores et déjà, et quotidiennement !… »

Ce qu’il y a de certain, c’est que les chefs du parti réformateur, tout en repoussant avec énergie l’immixtion étrangère, témoignent, dans leurs écrits et dans leurs paroles publiques, d’une très noble tolérance à l’égard de tous les métèques qui viennent offrira l’Egypte ou leurs capitaux, ou leur énergie, ou leur intelligence. Mustafa Kamel, en particulier, ne manquait pas une occasion d’affirmer la reconnaissance de ses compatriotes pour des hommes comme Champollion, Mariette, Clot-bey et tant d’autres, — archéologues, médecins, ingénieurs ou administrateurs, — dont l’activité fut réellement bienfaisante à leur pays d’adoption. Malheureusement, ces professions de foi