turc, mais qui, à leur tour, enrichiront la science, s’ingénieront à adapter leur langue à toutes les exigences de la pensée moderne. Il est convenu dès maintenant que les professeurs européens n’occuperont, dans cette université, que des chaires provisoires. Dès que les indigènes auront conquis leurs grades, ils élimineront progressivement les étrangers. On souhaite que cette substitution s’accomplisse aussi rapidement que possible. Révélons même le fond des cœurs : beaucoup sont plus pressés de toucher les émolumens rondelets qui sont attribués à chacune de ces chaires, que de se perfectionner en savoir. Un de mes amis me rapportait la conversation que voici. Il causait avec un de ces candidats-professeurs qui s’en allait étudier à Munich : « Vous avez de la chance, lui dit-il, de pouvoir vous cultiver à loisir. Je pense que vous en profiterez, que vous allez faire un long séjour là-bas. — Du tout ! répondit le futur universitaire, je m’empresserai de revenir dès que je serai docteur. Je n’ai pas envie qu’un Français ou un Italien empoche huit cents livres à ma place !… » Mon ami ne s’étonna point de cet aveu dépouillé d’artifice. Il est vrai que la fascination de l’or est si contagieuse en cette terre bénie d’Egypte !
« A nous les places ! A nous les gros traitemens ! » Telles sont bien, au fond, les convoitises secrètes de ces patriotes. Et cela nous amène à l’une des revendications les plus délicates de leur programme. Ils se proposent de nationaliser peu à peu les services publics, dont les postes les plus importans et les plus lucratifs sont détenus souvent par des Européens. Qu’ils soient les maîtres chez eux, qu’ils bénéficient, dans la plus copieuse mesure, des budgets qu’ils alimentent, rien de mieux a priori. Les personnes non intéressées dans le débat trouvent la chose si naturelle qu’elles s’ébahissent qu’on puisse seulement en disputer. Mais les Européens qui vivent à demeure en Orient, — fonctionnaires, propriétaires, industriels ou commerçans, — sont d’un avis contraire. Quand on aborde ce sujet devant eux, ils ne dissimulent pas une indignation, très sincère la plupart du temps. Un ingénieur (et ce n’était pas un Anglais) me disait ceci : « Livrer l’Egypte aux Égyptiens, leur céder la haute main dans une administration quelconque, — ce serait de l’aberration, de la pure folie !… Ainsi, chez nous, laissez-les faire et vous verrez !… Il n’y aura plus un train qui arrivera ou qui partira à l’heure ! Et les réservoirs d’eau seront vides, le charbon