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où s’élèvent des écoles de toutes confessions et de toutes nationalités ; sans compter les établissemens créés par les gouvernemens locaux : collèges d’enseignement secondaire, écoles normales, écoles militaires, facultés de médecine et facultés de droit ! Des milliers de jeunes gens y avaient reçu une éducation plus ou moins semblable à la nôtre. Beaucoup même étaient venus compléter leurs études en France ou en Allemagne ; ils y avaient pris des habitudes, des aspirations, des idées en désaccord avec celles de leur milieu. Ils souffraient cruellement de se sentir des rétrogrades, d’être condamnés à l’inaction par la plus étouffante des tyrannies. Et l’on s’imaginait qu’ils se croiseraient les bras, qu’ils subiraient indéfiniment la contrainte d’un tel régime !…

Sans doute, le feu de paille de leurs premiers enthousiasmes s’est assez vite éteint ! Sans doute encore, on retrouve dans leurs rangs les mêmes divisions, les mêmes hostilités de races que dans la plèbe. Enfin, entre cette plèbe et l’élite, il y a un fossé qui ne semble pas devoir être comblé de sitôt. (On peut soutenir qu’un Musulman instruit à l’européenne diffère infiniment plus d’un pur Musulman qu’un gentilhomme de la fin du XVIIIe siècle ne pouvait différer d’un paysan français : c’est tout un monde, toute une façon de penser qui sépare ces deux Orientaux dissociés par la culture.) Néanmoins, l’unanimité des volontés a été obtenue déjà une fois, — et cela, sans acception de races ni de religions, — lorsqu’il s’est agi de renverser l’absolutisme hamidien. En outre, si refroidie que soit la belle ardeur du début, il ne semble pas que l’action de l’élite musulmane sur le peuple en ait été compromise. Très prudemment, ils se sont bien gardés de couper le seul lien qui pouvait les rattacher à la masse, à savoir le lien religieux. S’ils ne peuvent guère agir sur les esprits, ils se sont conservé un moyen très sûr d’agir sur les cœurs. Et ainsi ces cléricaux d’Orient ont instauré un mouvement qui a des chances de rester populaire, de le devenir toujours davantage. À ce titre, l’effort des Jeunes-Turcs, et, à un degré inférieur, l’effort des Jeunes-Egyptiens mérite de fixer toute l’attention du monde civilisé ; Ils sont incontestablement les héros du jour. Sans omettre les Chrétiens et les Juifs[1] qui leur ont prêté leur concours, je voudrais tenter de

  1. Ceux-ci feront l’objet d’une étude spéciale.