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intitulée Mes idées, note qui fut publiée par la suite et fit un assez grand tapage. L’auteur y insistait sur l’arrogance des anciens magistrats, s’ils avaient jamais gain de cause : « Ce retour ne pourrait manquer de les enorgueillir… Ils seraient rentrés en agneaux, et se comporteraient en lions. Ils prétexteraient le bien public et prétendraient, suivant leurs principes, en désobéissant, ne pas désobéir. Le peuple, ou plutôt la populace, viendrait ensuite à leur secours, et l’autorité royale se verrait accablée sous le poids de leur résistance. » Les conseillers menacés d’expulsion renchérissaient encore sur ces attaques, et des libelles se répandaient, où leurs prédécesseurs étaient vilipendés avec la dernière violence.

Les d’Orléans et le prince de Conti ripostaient, lançaient des mémoires, que Maurepas transmettait au Roi. Ils avaient partie belle, car le sentiment populaire, fouetté par des excitations secrètes, se déchaînait de plus en plus contre « le parlement Maupeou. » Maintenant, les infortunés magistrats ne pouvaient se montrer nulle part sans provoquer les fureurs de la multitude. L’un d’eux, dans la cour du Palais-Royal, était reconnu, poursuivi ; un homme du peuple lui criait, en lui montrant le poing : « Ah ! b…, tu vas être chassé, avec tous ces gueux-là ! » Et la foule d’applaudir. Au sortir d’une audience du Roi, une délégation de « robes rouges » n’osait s’aventurer parmi la foule assemblée devant le Palais : « Comment faire, demandait leur chef à Maurepas, pour partir sans être insultés ? — Mettez des dominos, » répondait-il d’un ton goguenard[1].

Seul, Louis XVI restait à l’écart, indifférent en apparence et comme spectateur de la lutte. Dans le milieu d’octobre, il recevait des conseillers du parlement de Rennes une plainte au sujet des outrages dont ils se disaient abreuvés. Ils rappelaient le mot de Louis XV : Je ne changerai jamais, et suppliaient le petit-fils de ne pas désavouer l’aïeul. Pour toute réponse, le Roi fit dire par La Vrillière que « ces représentations ne lui avaient paru que l’effet d’une inquiétude sans fondement, occasionnée par des rumeurs vagues auxquelles le Parlement de Bretagne n’aurait dû donner aucune attention. » A quelques jours de là, le 23 du même mois, la Chambre des vacations de la Cour de Paris prenait un arrêté semblable, et le procureur général

  1. Souvenirs de Moreau. — Mémoires du comte d’Allonville, etc., etc.