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les serviteurs. Car enfin il n’est pas impossible de dresser et d’éduquer même un Berbérin fraîchement débarqué des confins du Soudan. S’il y a des Européens qui se plaignent que ces Africains soient incapables de faire griller un bifteck, il y en a, en revanche, qui se félicitent de leurs talens culinaires. Chez un de mes amis d’Assiout, j’ai mangé d’excellente cuisine française apprêtée par un indigène ! Et le service était parfait, la table garnie de fleurs, les chambres merveilleusement entretenues. Évidemment, il y faut l’œil et la volonté du maître ; autrement, le rustre à peine façonné retombe tout de suite à l’ordure et à la barbarie ancestrales. Mais cela prouve, contrairement au préjugé européen trop répandu, qu’on peut obtenir de ces éducations beaucoup plus de bons résultats qu’on ne veut bien le dire. Certains Musulmans s’y emploient avec succès. J’ai visité, au Caire, des maisons qui, — du moins dans la partie qu’on m’a laissé voir, — ne laissaient rien à désirer ni pour le service, ni pour le confort. La ménagère française la plus scrupuleuse n’y eût rien trouvé à reprendre. L’ameublement et la décoration étaient du meilleur goût, et c’était charmant d’intimité. Les objets exotiques et modernes s’harmonisaient sans trop de peine avec le style local et les vieilles belles choses d’autrefois. Le téléphone et la machine à écrire n’y détonnaient pas trop à côté des boiseries arabes et des divans recouverts de tapis de Caramanie. Dans l’une, la vérandah vitrée du salon s’ouvrait sur un jardin, où s’épanouissaient les plus rares de nos fleurs de France, et le propriétaire ne me cacha point qu’il achetait toutes ses graines à Paris, — chez Vilmorin, — comme un bourgeois d’Orsay ou d’Argenteuil.

Sans doute, des intérieurs comme celui-là sont rares en Egypte. L’influence du climat et des mœurs anciennes contribue pour beaucoup à entretenir des habitudes invétérées de désordre et de négligence. Enfin, le caractère de la plèbe, où se recrute la domesticité, répugne à la minutie de nos raffinemens. Pourtant, ces esclaves incomplètement affranchis rachètent parfois leur indolence et leur rudesse par des qualités de dévouement et de probité fort estimables. Il n’y a qu’une voix pour louer lu bonté du serviteur turc. Pour les Européens, le Turc est un domestique comme on n’en fait plus. Il s’attache à ses maîtres, il est honnête, il est propre, et, par-dessus le marché, il n’est pas trop paresseux. En un mot, il a toutes les vertus du vieux