Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 49.djvu/839

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en lui prenant les mains, je vous donne ma parole d’honneur à l’avance d’entrer dans toutes vos vues et de vous soutenir toujours dans tous les partis courageux que vous aurez à prendre. » Turgot sortit du cabinet du Roi « tout attendri, » selon son expression. Comme il en avait pris l’engagement, il rédigea sur l’heure une sorte de mémoire, qui exposait, en résumé, son système financier et ses idées sur la politique générale. Cette lettre nous est conservée ; nous y reviendrons par la suite. Il suffit aujourd’hui de noter les étapes, de plus en plus rapides, par lesquelles s’achemine vers son terme la grande affaire des parlemens.

Tandis que M. de Maurepas courait faire connaître à Terray sa disgrâce, le duc de La Vrillière, muni d’une lettre de Louis XVI, se rendait chez le chancelier pour lui redemander les sceaux. Maupeou se montra plein de calme, sans plainte et sans irritation, en homme qui croit avoir fait son devoir et s’attend de longue date à récolter l’ingratitude. Avant même que d’ouvrir le billet du Roi : « J’obéirai, dit-il à La Vrillière. J’avais fait gagner au Roi un procès qui durait depuis trois cents ans ; il veut le reperdre, il en est le maître. » Quand il eut lu l’ordre d’exil dans sa terre de Roncherolles, située près des Andelys : « Au moins, monsieur, reprit-il en tirant sa montre, apprenez au Roi combien je suis exact. » Et il commanda ses chevaux. Il conserva cette belle sérénité dans le trajet qu’il fit pour gagner l’endroit assigné, parmi les quolibets, les injures de la populace, les processions promenant des mannequins en simarre, que l’on pendait ou brûlait sur la route. Arrivé chez son père, âgé de quatre-vingt-huit ans, il fit une partie de cartes avec lui, causant et plaisantant avec une parfaite bonne humeur, et ne lui apprit la nouvelle qu’au moment de s’aller coucher.


VIII

Cette « Saint-Barthélémy des ministres, » comme on appela dans le public la journée du 24 août[1], fut connue le jour même et provoqua une émotion immense. Le peuple de Paris « tira des pétards toute la nuit » et dansa par les rues autour de feux de joie. Comme le lendemain était la fête patronale de

  1. La fête de Saint-Barthélémy tombait le même jour, ce qui donna lieu à ce facile jeu de mots.