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toujours ; et dès lors, qui de vos sujets osera jamais se hasarder sur la foi de l’autorité ? Qui de vos sujets acceptera des places, dont bientôt il ne lui resterait que le triste souvenir, la honte, et peut-être la persécution ? » Et, dans une phrase saisissante, il évoquait dans le lointain de sombres et trop réelles images, « l’autorité s’affaiblissant, les nœuds de l’obéissance se relâchant d’eux-mêmes, » et « les peuples passant du mépris de la magistrature au mépris du gouvernement ! » Louis XVI n’entendit pas ces paroles éloquentes ; Maurepas lui persuada de défendre que cette affaire fût mise en délibération. Ce fut quinze ans plus tard, aux premières lueurs de la Révolution, que Maupeou fit tenir au Roi ces pages, auxquelles les circonstances donnaient alors un accent prophétique.

Si, par la volonté royale, cette guerre demeura silencieuse, du moins ne fut-elle pas longtemps secrète. Des rumeurs, encore vagues, coururent à la Cour de Compiègne, se répandirent de là jusqu’à Paris. L’agitation des plus beaux jours renaissait au Palais et jusque dans la rue. On entendait, chaque soir, comme au lendemain du coup audacieux de Maupeou, des huées et des cris injurieux à la sortie d’audience des nouveaux magistrats. On brûla sur la place Dauphine le chancelier en effigie. La mollesse de la répression enhardissait l’impudence des meneurs.

L’abbé Terray, le 20 août, s’absenta pour deux jours, afin de visiter un canal souterrain qu’on construisait en Picardie. Le bruit de son renvoi circula aussitôt, et ses collègues eux-mêmes s’interrogeaient entre eux sur la nouvelle. Le soupçon s’aggrava lorsqu’on sut que Louis XVI, dans la matinée du lendemain, avait mandé Turgot, voulant, avait-il dit, conférer avec lui. Chacun conjectura que le Roi allait lui offrir le contrôle général. Turgot s’y attendait : « Il se prépara, dit Véri, à exposer ses vues et ses principes sur la finance, sur la liberté du commerce et sur les principales réformes qui lui semblaient indispensables. » Mais, à sa grande surprise, le prince, sauf quelques allusions voilées, ne lui parla que d’affaires de marine, et il dut s’en aller sans avoir abordé les questions importantes. Cette dernière reculade porta l’irritation de Maurepas à son comble. Le 24, à dix heures du matin, il entra chez le Roi. Voici, d’après le Journal de Véri[1],

  1. Maurepas, au sortir de cette visite, s’en fut droit chez Turgot, où se trouvait l’abbé de Véri, et leur rapporta mot pour mot toute la conversation, que l’abbé de Véri transcrivit sur-le-champ dans son Journal.