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prononçait beaucoup dans l’entourage familier de Maurepas et que l’on mettait sur la liste du prochain ministère ; c’était le nom d’Anne-Robert-Jacques Turgot, intendant de Limoges, qui, par son administration depuis douze ans dans cette province, s’était acquis un grand renom d’intégrité, d’habileté et d’amour du bien, et que nombre de gens représentaient déjà comme le futur régénérateur du royaume. Au premier rang de ces derniers était cet abbé de Véri, dont nous savons l’intimité dans le logis de Maurepas. Une curieuse figure d’arrière-plan que celle de cet intelligent abbé, plus philosophe que prêtre, longtemps auditeur de rote à Rome, maintenant retiré à Paris avec de belles prébendes, y faisant de la politique avec passion, mais sans ambition personnelle, dans la coulisse, en amateur, et profitant de ses hautes relations pour servir ses idées et pousser ses amis. Compagnon d’enfance de Turgot, dont il avait été le condisciple à la Sorbonne, et resté depuis lors en commerce étroit avec lui, c’est l’abbé de Véri qui, de longue date, avait prôné Turgot d’abord auprès de Mme de Maurepas, ensuite auprès de son époux, le désignant comme le seul homme capable d’accomplir les réformes indispensables et de mènera bien la tâche immense du nouveau règne.

Toujours d’ailleurs, dans ces causeries, il parlait de lui attribuer l’administration des Finances, à laquelle en effet paraissaient l’avoir préparé ses études, ses dernières fonctions, ses connaissances en économie politique. Ce fut pourtant ce même Véri qui, voyant Maurepas indécis et perplexe, lui proposa un jour Turgot pour la marine : sans doute, disait l’abbé, Turgot n’avait-il pas, en cette partie, de compétence spéciale, mais « son habitude du travail, ses profondes recherches sur la mécanique et l’histoire naturelle, son exactitude singulière en matière de travaux publics dans son intendance du Limousin, lui donneraient une prodigieuse facilité pour acquérir les notions nécessaires. S’il n’a pas l’expérience, il a du moins le fond pour l’acquérir promptement[1]. » On pouvait, en tous cas, essayer ainsi ses talens, sauf, quand la place serait vacante, à le transférer par la suite au contrôle général. Maurepas agréa ces raisons et les redit au Roi, qui ne risqua qu’une objection timide : « On dit qu’il ne va pas à la messe. — L’abbé Terray

  1. Journal inédit de l’abbé de Véri. — Passim.