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faillit tout compromettre. Fier de son rôle en cette affaire, enchanté du succès qu’il escomptait déjà, le Duc d’Orléans s’en vanta auprès de son inséparable amie, la marquise de Montesson, la mit dans le secret de la conspiration ; la marquise, à son tour, conta l’histoire à quelques amis sûrs ; si bien qu’en peu de temps la chose s’ébruita et vint aux oreilles de Maupeou, qui se plaignit au Roi. D’où colère de Louis XVI, reproches faits à Maurepas, effarement du « Mentor. » Celui-ci courut chez Augeard : « Le Duc d’Orléans a bavardé, lui dit-il, le Roi m’a soupçonné de m’en tendre avec lui, l’affaire est manquée ! » Et, dans sa déconvenue, il était déjà prêt à abandonner la partie : « Je serais compromis, et je n’avancerais à rien. » Il fallut l’éloquence d’Augeard pour ranimer ses esprits abattus.

Un incident surgit, sur l’entrefaite, fort à propos pour l’aider à sauver sa mise. L’heure approchait où, selon la coutume, seraient célébrées à Saint-Denis, les obsèques solennelles, — le « catafalque, » — du feu Roi. Le cérémonial exigeait que tous les princes du sang prissent part au défilé dans la vieille basilique et saluassent au passage les principaux corps de l’Etat, le parlement en tête. Le Duc d’Orléans déclara que ni lui ni son fils ne rendraient les honneurs aux nouveaux magistrats, non plus qu’au chancelier. Tous les expédiens proposés échouèrent devant un refus obstiné. Maurepas saisit la balle au bond ; il conseilla nettement au Roi de tenir ferme et de n’accepter nulle excuse, dût-il, en cas de désobéissance, exiler à nouveau ses parens de la Cour. Ainsi cet habile homme établissait-il sa bonne foi, bannissant de l’esprit du Roi toute suspicion d’entente avec les d’Orléans. Ceux-ci d’ailleurs, avertis en cachette, se prêtaient à la comédie et acceptaient les conséquences de leur rébellion feinte.

La ruse était bien combinée. Mais, dans les jours qui précédèrent le « catafalque, » une incroyable animation agita toute la Cour. Ennemis et partisans de l’ancien parlement attendaient anxieusement la décision royale. Mesdames tantes se jetaient aux pieds de leur neveu, « le conjurant avec larmes de ne pas laisser insulter la mémoire de leur père[1]. » L’animation des partis était telle, qu’on redoutait quelque scandale au cours de la cérémonie. L’attitude résolue du Roi mit un terme à ces vaines

  1. Mémoires de Soulavie.