Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 49.djvu/81

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cependant, il faut s’empresser de le concéder aux personnes qui considèrent comme synonymes les mois d’Islam et de paresse : dans cette masse laborieuse, les Musulmans ne représentent la majorité que parce qu’ils sont sept ou huit fois plus nombreux que les Chrétiens et les Juifs réunis. Néanmoins, ils travaillent, eux aussi. D’ordinaire, ils prennent les gros métiers qui s’accommodent le mieux à leur vigueur physique, ou les métiers d’amateurs qui satisfont leur penchant à la flânerie et leur goût de la parade. Tandis que les uns sont terrassiers, maçons, charretiers, portefaix, les autres sont kavass, cochers, palefreniers ou saïs, drogmans, âniers, commissionnaires d’hôtels. Mais, si vif que soit leur éloignement pour les métiers manuels, il y a aussi parmi eux beaucoup d’artisans : des tailleurs, des ciseleurs, des ferblantiers, des brodeurs, des menuisiers, des relieurs. (Je nomme à dessein les plus relevées d’entre leurs professions.)

Ce qui m’ébahissait surtout et ce qui dérangeait tous mes préjugés d’Algérie, c’est que ces Egyptiens musulmans ne dédaignent même pas les métiers réservés d’habitude aux femmes, ou ceux qui exigent une habileté, une éducation professionnelle, des qualités d’élégance et de goût peu communes chez des peuples rudes ou guerriers. Ainsi, au Caire, les boutiques de blanchissage sont tenues fréquemment par des hommes. Rien n’est drôle, pour nous, comme de voir, à travers la moustiquaire de l’atelier, de grands garçons pâles courbés, le fer à la main, sur la planche à repasser, ou les doigts plongés dans un bol d’amidon. Non seulement ils repassent et blanchissent pour leurs compatriotes, mais le travail européen le plus fignolé n’a pas de secret pour eux : le linge de femmes, aussi bien que le linge masculin, ils savent l’apprêter comme une ouvrière de Londres ou de Paris ; et quand on s’arrête devant la porte, on aperçoit avec stupeur une figure de nègre toute luisante, qui émerge parmi les blancheurs nuageuses d’un jupon de dentelles. De même, un serrurier musulman peut très bien vous fabriquer un passe-partout dernier modèle, un article léger, portatif et fort proprement nickelé. Un bourrelier n’est pas davantage embarrassé pour vous confectionner une housse de malle ou de valise, le tout gansé et muni de coins en cuir, comme au Louvre ou au Bon Marché. Dans les quartiers excentriques, vous rencontrez des couturiers très adroits, qui cousent des tentes de campement,