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embarrasse au milieu d’un débat confus, le Roi se levait soudainement, gagnait la porte et s’esquivait, « plantant là » ses ministres, consternés, « bouche béante. » Il fallut courir après lui, le conjurer d’assigner tout au moins une date pour le prochain Conseil[1].

Ces incartades et ces enfantillages tournaient au profit de Maurepas. Louis XVI, au sortir de ces scènes, le trouvait indulgent et grave, mi-souriant, mi-sérieux, prompt et habile à remettre les choses au point, inépuisable en belles sentences, en judicieuses leçons. A lire ces paroles de sagesse, pleines d’une modération tempérée par le scepticisme, on croirait ouïr Ulysse parlant par la bouche de Nestor : « Sire, disait-il, ne vous pressez pas, jusque dans le bien que vous faites. Suspendez toujours vos décisions, ne précipitez rien… Vous voulez restaurer la religion et les mœurs ? Soit, mais rappelez-vous bien que l’exemple peut tout, et que la rigueur gâte tout. » Il lui disait encore, le prenant par son faible : « Ayez de la justice, de l’amour pour la vérité, de l’application pour vous instruire, de l’économie, un accès facile, et vous ressemblerez à votre aïeul Henri IV, auquel on vous compare déjà[2]. »

Ces conseils tiraient une grande force d’un désintéressement qui n’était pas seulement une apparence. Maurepas, riche, sans enfans, chargé d’années, en prenant le pouvoir n’avait voulu ni traitement, ni pension, ni honneurs d’aucun genre. Un appartement d’entresol au château de Versailles, situé au-dessus de la chambre du Roi, avec un escalier de communication, — l’appartement autrefois occupé par Mme du Barry, — ce fut tout ce qu’il accepta pour salaire de ses peines. « Par cette conduite, remarque l’abbé Georgel, il prouvait au jeune monarque que, s’il rentrait à son âge dans les affaires, il ne s’y déterminait que pour se dévouer à son service, sans considération d’aucun intérêt personnel. » Il éloignait de même tout soupçon d’ambition ou de complaisance pour les siens. Il refusa péremptoirement de prendre un portefeuille : « Je ne vous dirai rien sur ceux qui composent votre ministère, répétait-il souvent au Roi. Les uns sont mes proches parens, les autres ne me sont connus que par les idées du public. Mais, quand je suis seul avec vous, je

  1. Souvenirs, de Moreau.
  2. Lettres de Mme de Boufflers à Devau. — Journal du duc de Croy. — Journal de l’abbé de Véri.