Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 49.djvu/807

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

différens ministres, et de n’intervenir que sur appel direct du Roi. Il y voyait, expliquait-il à un ami, l’avantage d’enseigner au prince l’utilité de l’effort personnel, de développer en lui l’esprit d’initiative : « Si le bien en résulte, tant mieux ; s’il survient quelque inconvénient, il se chargera, lui, Maurepas, de relever l’erreur ; et le Roi apprendra ainsi à ne donner sa confiance qu’avec discernement[1]. » Méthode habile, qui aura pour effet, en mettant son royal élève aux prises avec des difficultés redoutables, en le jetant sans guide au milieu d’un réseau d’intrigues, de le ramener vers le vieux maître dont la main souple débrouillera tous les fils, aplanira tous les obstacles, et dont l’autorité se fortifiera graduellement des fautes commises, des désappointemens éprouvés.

Louis XVI, au reste, faisait son nouveau métier en conscience, passant ses journées au travail, examinant tout par lui-même avec une ardeur méritoire, montrant une passion sincère pour le bien. « Le point essentiel est le soulagement du peuple, » répétait-il à l’abbé Terray ; et le contrôleur s’émerveillait de sa bonne volonté : « Il s’applique et entend tout ; je lui communique sur toutes les parties de mon administration des mémoires courts ; il les lit avec soin, me questionne… D’ici à trois mois, il saura autant de finance que moi. » Mêmes éloges dans la bouche du duc d’Aiguillon : « Je craignais qu’il ne fût dur, ajoutait le duc, il ne l’est pas. Il n’est que sauvage et timide[2]. » La Vrillière, au contraire, recevait des semonces du Roi au sujet de sa légèreté ; questionné au sujet d’une lettre de cachet lancée contre le sieur Sutton, sujet anglais, que protégeait l’ambassade britannique, il confessait ingénument qu’il ne connaissait pas l’affaire : « Comment, s’écriait Louis XVI indigné, une lettre de cachet signée de vous sort de vos bureaux, et vous n’en savez rien ! » Le ton était si rude, que le duc, assure-t-on, tombait presque en syncope.

Cependant, en certaines occasions, en face de problèmes trop ardus ou d’opinions contradictoires, reparaissait l’humeur indécise de Louis XVI, et il s’abandonnait à de brusques foucades, comme un cheval peureux qui se cabre d’abord, puis se dérobe devant l’obstacle. Au cours d’un « Conseil des dépêches » tenu dans cette première période, tiraillé de côtés divers,

  1. Journal de l’abbé de Véri. — Passim.
  2. Souvenirs de Moreau.