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le comte de Mercy-Argenteau. Il est incroyable comme, dans les premiers instans, Madame Adélaïde avait débuté à vouloir s’ingérer en tout et à prendre le ton le plus absolu ! » La crise fut longue et grave. Un moment, on les crut perdues ; toutes trois reçurent, sur leur demande, les derniers sacremens ; à la fin de mai seulement, les médecins reprirent espoir. « L’ange exterminateur a remis son épée au fourreau, écrit à ce propos la duchesse de Choiseul[1]. Nous reverrons encore trôner à la jeune Cour ces trois vieilles filles, pour y ergoter, et elles se seront rendues si intéressantes, qu’on ne croira pas pouvoir moins faire que de leur donner le royaume à bouleverser. » En attendant cette heure, les choses marchaient leur train, et d’importans changemens allaient donner quelque satisfaction aux justes exigences de l’opinion publique.

Le 20 mai, se tint à la Muette le premier « Conseil d’Etat. » On appelait ainsi l’assemblée générale des secrétaires d’Etat où, en présence du Roi, se traitaient les plus grosses affaires. Malgré l’appel fait aux lumières de M. de Maurepas, les amis du duc de Choiseul se flattaient encore de l’espoir que le mentor du jeune prince ne siégerait pas dans ce comité supérieur. Leur déception fut vive, quand on apprit que, non seulement il en ferait partie, mais qu’il dirigerait les débats et y aurait la première place. Une tradition constante y fixait, en effet, les rangs d’après l’ancienneté des ministres, sans tenir compte des interruptions de service. Maurepas, secrétaire d’Etat depuis 1715, était le doyen sans conteste, et ce titre seul suffisait à l’assurer de la prééminence. Certains membres du Conseil en laissèrent voir quelque dépit, mais « la roideur, le ton décisif » de Maurepas leur imposèrent silence, et, sauf ce puéril incident, cette séance d’ouverture se passa sans encombre. L’abbé Terray, contrôleur général, y développa, en termes séduisans, de nouveaux plans économiques. Sa conclusion fut que, dans trois années au plus, sans toucher au système d’impôts, le budget présenterait 60 millions d’excédent. On écouta sans sourciller ces calculs optimistes, et l’on se sépara avec une cordialité apparente.

La tactique de Maurepas, pendant ces journées de début, fut de laisser Louis XVI travailler tantôt seul, tantôt avec les

  1. Lettre du 2 juin 1774. — Correspondance de Mme du Deffand, publiée par M. de Sainte-Aulaire.