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Même note, mais plus vive et plus âpre, dans les milieux bourgeois. Le Journal du libraire Hardy, fidèle écho des sentimens de la population parisienne, nous instruit des propos courans[1] : « On croyait devoir en rabattre beaucoup sur tout ce qui s’était répandu d’abord de consolant et d’avantageux. Bien des gens craignaient que l’ancien ministère ne subsistât tel qu’il était et qu’on s’emparât de l’esprit du jeune monarque. Pouvait-on voir, en effet, avec satisfaction le comte de Maurepas, proche parent du duc d’Aiguillon et du duc de La Vrillière, jouir de la confiance de Sa Majesté et présider en quelque sorte à toutes les opérations du Conseil ? On entendait dire d’ailleurs que le comte de Maurepas avait déjà annoncé au Roi que ce qu’il pouvait faire de mieux, c’était de laisser les choses dans l’état où le feu Roi son aïeul les avait mises, et ce bruit ne contribuait pas peu à augmenter la défiance et la crainte. »

Certaines rumeurs, toutefois, qui couraient dans la capitale, laissaient planer l’espoir d’un vrai remaniement, du « coup de balai général, selon le mot expressif de Baudeau, qui ferait bientôt maison nette. » C’est ainsi qu’on se répétait la réplique de la Reine à une dame de la Cour, qui lui disait : « Voici l’heure où le Roi doit entrer au Conseil avec ses ministres. — Avec ceux du feu Roi, » rectifiait Marie-Antoinette, avec une intention marquée. On colportait aussi cette réponse de Louis XVI à Maurepas. l’entretenant d’un programme de réformes : « Oui, mais lorsque j’aurai un ministère honnête[2]. » Ces anecdotes et d’autres du même genre contribuaient à calmer l’impatience populaire, à faire accorder du crédit au règne à peine inauguré. « On comprend, reprend sagement Hardy, qu’un grand royaume ne se gouverne pas aussi aisément qu’une famille. »

La maladie simultanée des trois filles de Louis XV vint à propos pour laisser le champ libre aux velléités du jeune prince, en écartant de ses conseils une funeste influence. « Surtout point de tantes ! » recommandait l’impératrice Marie-Thérèse, eu apprenant le transfert de la Cour à la Muette[3]. L’apparition de la petite vérole, mettant la vie des princesses en danger, les isolait pour longtemps à Choisy, loin de la politique. « C’est un grand bonheur que cette maladie de Mesdames, dit cyniquement

  1. Mss. de la Bibliothèque nationale. F. fr. 6681-13 mai 1774.
  2. Journal de l’abbé de Véri. — Passim.
  3. Le départ de Choisy eut lieu le 18 mai.