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Mais ces figurans bien en chair masquent le fond de la scène. Le vrai peuple, en général, est malingre et souffreteux. Seulement, il est si prolifique que sa fécondité finit par triompher de ses tares morbides, et que des types superbes émergent souvent de ce déchet humain. Néanmoins, ce déchet est formidable. Pour en avoir une idée approchante, il faudrait être un médecin continuellement en contact avec les classes pauvres, ou une de ces chrétiennes pieuses qui pénètrent, par charité, dans les intérieurs les plus abjects. J’ai interrogé quelques-uns de ces intrépides visiteurs. Leurs descriptions dépassent tout ce qu’on peut imaginer en fait de peintures affligeantes ou répugnantes. Mais, à Jérusalem, chez les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul et dans les quartiers juifs, j’ai eu sous les yeux comme un musée vivant et étonnamment représentatif de la misère orientale. Nulle part ailleurs, sans doute, la hideur invraisemblable des plaies, l’anomalie presque extravagante des cas pathologiques n’atteint à un pareil degré d’horrible et d’imprévu.

Évidemment, ce serait une exagération flagrante de se former une idée de cette plèbe levantine d’après les habitans d’un ghetto, les pensionnaires d’un hospice ou d’un orphelinat. Mais ce qu’on voit dans les rues, ce qu’on surprend dans les maisons n’en permet point une appréciation plus flatteuse.

Disons-le tout de suite : l’habitation populaire orientale est quelque chose d’extrêmement vague. En Europe, nos prolétaires, quoiqu’ils prétendent, ont tout de même un foyer, ou, du moins, ils aspirent à en avoir un. En Orient, la plèbe ne paraît même pas s’en soucier. On vit dehors beaucoup plus que chez nous : le climat le permet davantage. Et, plus que chez nous aussi, l’ouvrier est presque toujours absent, soit pour son travail, soit pour son plaisir. Les enfans grouillent dans la rue, les femmes vont aux provisions, ou bavardent autour des fontaines. On ne rentre au logis que pour dormir et pas toujours pour manger. Mais ce logis que la femme européenne s’ingénie à rendre plus confortable, voire à orner, fût-il un taudis, la femme orientale s’en désintéresse complètement. Si elle en avait le désir, je crois bien d’ailleurs que le courage lui manquerait, tant la saleté du bouge qu’elle habite est opprimante et comme indestructible.

Au Caire, et dans toute l’Égypte, l’indigence et la grossièreté rudimentaire des habitations pauvres sont peut-être plus navrantes