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AU COUCHANT DE LA MONARCHIE.

discernait nettement le bien, il le désirait de bonne foi ; le courage lui manquait pour le réaliser. L’âge ne fit qu’aggraver cette disposition naturelle. Que de fois on le vit, dans les conseils du Roi, plaider tout d’abord une cause juste, la soutenir avec éloquence par des argumens persuasifs, puis céder tout à coup, par lassitude, par horreur de la lutte, et passer au camp opposé avec désinvolture. « Cette manière de tout obtenir de lui, dit un mémorialiste[1], avait été découverte par quelques-uns de ceux qui avaient intérêt à capter son suffrage et à lui faire adopter leurs projets. » Lui tenir tête obstinément, c’était vaincre presque à coup sûr.

De cette faiblesse, personne n’usa avec tant d’avantage que la femme qu’il avait associée à sa vie. Par l’influence qu’elle eut sur son époux et par le rôle qu’elle joua pendant son ministère, la comtesse de Maurepas appartient à l’histoire. Elle était, comme j’ai dit plus haut, la fille du duc de La Vrillière, mariée toute jeune, au sortir du couvent[2]. Sans charme, sans beauté, sans véritable intelligence, elle prit, dès le premier moment, sur son brillant époux un ascendant quelle garda, sans faiblir, durant tout le cours de sa vie. L’esquisse dénuée de bienveillance qu’a tracée d’elle Mme de La Ferté-Imbault donne le secret de cet étrange empire : « Son extérieur, dit-elle, est repoussant. Elle n’a nulle instruction, point de conversation. Cependant elle a de l’esprit naturel, mais elle n’en fait usage que pour gouverner ceux qui en ont infiniment plus qu’elle, et elle y est toujours parvenue… Elle a une suite pour obliger ceux qu’elle aime, qui est des plus rares et des plus précieuses. Elle pense un an de suite, s’il est nécessaire, sans distraction, à la chose où elle veut réussir, et elle ne néglige aucun moyen. Elle connaît parfaitement, par le seul instinct, les gens à qui elle a affaire, et elle force avec politesse tout ce qui l’environne à la considérer et à la craindre[3]. »

Vieille aujourd’hui, courbée par l’âge, et couverte d’infirmités, elle régnait comme aux plus beaux jours sur le cœur d’un époux, que les mauvaises langues de la Cour avaient d’ailleurs toujours représenté comme affranchi par la nature de toutes tentations d’inconstance. Philémon et Beaucis, ainsi les

  1. Mémoires du prince de Montbarrey.
  2. Le mariage fut célébré le 29 avril 1718.
  3. Souvenirs de Mme de La Ferté-Imbault. — Archives du marquis d’Estampes.