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désemplissait pas d’une brillante compagnie ; c’était comme un centre animé où affluaient toutes les nouvelles politiques et mondaines. Sans rancune et sans amertume, le maître du logis suivait attentivement la marche des affaires, marquant les points, se divertissant de bon cœur aux fantaisies de la Fortune, et se répandant en bons mots qui, colportés dans le public, maintenaient son renom d’homme d’esprit. Ainsi, dans la pénombre, mais non dans l’isolement, terminait-il paisiblement sa vie, en observateur détaché, en philosophe vieilli, qui se contente de sa place au parterre et a renoncé pour toujours à reparaître sur la scène.

On est généralement enclin à juger du mérite des gens d’après le succès de leur œuvre. De là, sans doute, la sévérité excessive de ceux des contemporains de Maurepas qui furent les spectateurs de ses dernières années. Ils ont trop durement insisté sur ce que sa nature comportait réellement d’égoïsme, d’indifférence et de frivolité, en négligeant les qualités dont une étude plus impartiale nous amène à lui tenir compte. Si son savoir était peu étendu, il suppléait à cette lacune par la clarté d’esprit et la facilité d’apprendre ; peu capable d’application, ennemi des méditations longues, nul cependant ne démêlait d’une main plus souple et plus experte le nœud embrouillé d’une affaire, ne simplifiait plus rapidement des problèmes qui semblaient d’une complexité redoutable, n’improvisait avec une plus ingénieuse adresse la solution moyenne qui mettait tout le monde d’accord. Il y faut ajouter du bon sens naturel, un jugement généralement droit, le don précieux d’entrer dans la pensée d’autrui, de pénétrer et d’éclaircir, en leur donnant une forme heureuse, les idées, souvent nébuleuses, des novateurs et des réformateurs, de donner de la vie, de l’intérêt, du charme, aux plus austères recherches et aux plus arides discussions. Sa belle humeur n’était jamais vulgaire, et son aisance n’impliquait point de familiarité. Ce mince petit vieillard, au masque étroit, aux traits fins, au visage rasé, savait faire montre, à l’occasion, d’une froideur ironique, d’une raideur de maintien, qui imposaient à ses contradicteurs, les laissaient comme déconcertés el les réduisaient au silence.

Son seul sérieux défaut, — grave, il est vrai, pour un homme au pouvoir, — était l’absence de caractère et de ténacité. Trop semblable en cela au prince dont il allait diriger la jeunesse, il