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AU COUCHANT DE LA MONARCHIE.

l’enfance de votre grand-père, pour être plus longtemps le maître. Je ne veux point mériter ce reproche et, si vous le trouvez bon, je ne serai rien vis-à-vis du public. Vos ministres travailleront avec vous ; je ne leur parlerai pas en votre nom, et je ne me chargerai point de vous parler pour eux. Suspendez seulement vos résolutions, dans les objets qui ne seront pas de style courant. Ayons une conférence ou deux par semaine, et, si vous avez agi trop vite, je vous le dirai. En un mot, je serai votre homme, à vous tout seul, et rien au-delà. Si vous voulez devenir vous-même votre premier ministre, vous le pouvez par le travail, et je vous offre mon expérience pour y concourir. — Vous m’avez deviné, lui répondit le Roi, c’est précisément ce que je désirais de vous[1]. »

Louis XVI, avant ce jour, ne connaissait pas le comte de Maurepas, ne l’avait même, assure-t-on, jamais vu. Il tomba sous son charme, et ce fut le début de l’affection touchante qui, sans jamais se démentir, l’unit jusqu’à l’heure de la mort au premier conseiller, au guide de son adolescence ; « Il m’a dit lui-même, écrit le prince de Montbarrey[2], que, malgré la distance énorme de l’âge de M. de Maurepas au sien, dès les premiers instans de cette entrevue, il avait été étonné et séduit par la fraîcheur d’esprit et les grâces de la conversation de l’aimable vieillard. » Au sortir de l’audience du Roi, Maurepas fut reçu par la Reine, qui se montra gracieuse, puis par Mesdames, qui lui firent fête[3]. Il s’en fut coucher à Paris, d’où il revint le surlendemain au château de Choisy. Une nouvelle conférence eut lieu avec Louis XVI ; elle confirma les impressions heureuses de l’avant-veille, et, sans qu’on eût plus clairement défini son titre et son emploi, Maurepas fut dès lors installé dans les conseils du trône et pleinement investi de la confiance du Roi.


VI

Je ne saurais me dispenser de présenter avec quelque détail l’homme qui entre ainsi dans l’histoire du règne de Louis XVI et dont le nom reviendra constamment sous ma plume.

  1. Journal de l’abbé de Véri. Passim.
  2. Mémoires.
  3. Lettre de Mme du Deffand à Walpole, du 15 mai 1714. — Correspondance publiée par M. de Lescure.