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AU COUCHANT DE LA MONARCHIE.

disert. Le nom de M. de Machault, — suspect de jansénisme et mal vu du clergé, dont il avait jadis diminué la richesse par des édits fiscaux, — ne pouvait manquer de déplaire à ce digne ecclésiastique et de choquer ses convictions sincères. Il s’éleva fortement contre l’élévation d’un homme aussi funeste et acheva d’échauffer. Madame Adélaïde. Tous deux, de compagnie[1], s’en furent trouver le Roi pour le faire revenir sur sa résolution.

Les informations manquent au sujet de la scène qui se passa entre ces personnages, mais on se représente sans peine la pression exercée sur l’esprit du jeune prince, les appels faits à sa conscience, à ses sentimens religieux, les scrupules éveillés de la sorte en son âme, et bientôt après sa défaite, l’abdication de sa volonté. Il fut convenu qu’on essaierait de « rattraper » la lettre, et que M. de Maurepas aurait la place offerte à M. de Machault. Le sieur Campan, beau-père de la première femme de chambre de Marie-Antoinette, fut expédié en hâte pour arrêter le messager, s’il n’était pas encore en route, et reprendre l’écrit du Roi. Il y eut un moment d’attente et de vive anxiété. « Si la lettre eût été partie, a dit plus tard Marie-Antoinette[2], M. de Machault eût été premier ministre, car jamais le Roi n’eût pris sur lui d’écrire une seconde lettre contraire à sa première volonté. » Le hasard fit qu’au moment de se mettre en selle, le page porteur du billet eût constaté la perte d’un éperon[3] ; les quelques minutes employées à en chercher un autre permirent à Campan d’arriver et de signifier le contre-ordre. Cette futile circonstance eut, selon l’apparence, une influence peut-être décisive sur toute l’orientation du règne et le sort de la monarchie[4].

Le billet repris par Campan et rapporté au Roi, on reconnut que sa teneur convenait parfaitement pour Maurepas. L’adresse

  1. D’après certaines versions, Madame Adélaïde serait seule allée trouver le Roi dans sa chambre.
  2. Mémoires de Mme Campan.
  3. Tradition rapportée par M. le marquis de Vogué, arrière-petit-fils de M. de Machault.
  4. Seul de tous les contemporains, Augeard, dans ses Mémoires, conteste, avec quelques réticences de langage, le récit qu’on vient de lire. Cette dénégation ne peut tenir devant les affirmations unanimes et précises de tous les autres docu-mens du temps, notamment les récits de Mme Campan, du duc de Croy, de l’abbé Georgel, de Morellet, de Soulavie, de Moreau, de Mercy-Argenteau, d’autres encore, tous gens bien informés. D’après une anecdote racontée par Moreau, Madame Adélaïde regretta par la suite, à la lumière des événemens, la part qu’elle avait prise à l’élévation de Maurepas. Bien des années après, revenant sur cet épisode : « C’est moi qui ai fait la faute ! » disait-elle avec repentir.