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REVUE DES DEUX MONDES.

Pour achever cette revue de la famille royale, il me reste à parler des deux frères de Louis XVI, Monsieur, Comte de Provence, et Charles-Philippe, Comte d’Artois. Leur rôle, pour n’être guère en vue, n’est cependant pas négligeable dans les événemens qui vont suivre. Le premier de ces princes présentait avec son aîné quelque conformité physique, encore plus lourd peut-être et de plus forte corpulence. Là se bornait la ressemblance : esprit cauteleux, dissimulé, sournois, se plaisant aux petits moyens, intéressé, avide d’argent, le Comte de Provence, en cette première phase de sa vie, était loin de jouir de l’estime que lui acquirent plus tard, à l’heure du grand naufrage, sa dignité dans le malheur et son sang-froid au milieu des écueils. Les compagnies douteuses qu’il fréquentait de préférence, les stratagèmes qu’il employait pour augmenter son bien, certains bruits qui couraient sur ses sourdes intrigues, tout cet ensemble était peu fait, comme disait Marie-Antoinette, pour lui valoir « la considération ni l’affection publiques. » Louis XVI ne l’aimait guère et se méfiait de lui. Certain soir que les princes, dans l’intimité familiale, jouaient une scène de Tartuffe, dont Monsieur remplissait le rôle : « Cela a été joué à merveille, dit soudain le Roi à voix haute, tous les personnages y étaient dans leur naturel[1]. » La Comtesse de Provence était douée, avec moins d’esprit, des mêmes instincts que son époux. Tous deux d’ailleurs s’entendaient à merveille et formaient un couple assorti, que l’on ménageait par prudence et qu’on n’estimait guère. « Nous vivons fort bien avec Monsieur et Madame, au moins en apparence, écrivait Marie-Antoinette[2]. Notre pli est pris, nous serons toujours sans division ni confiance. »

Le Comte d’Artois, le plus jeune des trois frères, était fort différent des autres. De tournure leste et dégagée, aisé dans ses manières, il aurait eu un visage agréable, n’était une bouche toujours ouverte qui donnait à ses traits une expression peu spirituelle. Une intarissable faconde et un imperturbable aplomb semblaient, à première vue, démentir cette physionomie. Son amabilité légère, sa constante gaîté, son audace, lui valaient de bonne heure du succès près des femmes. Mais ces frivoles mérites cachaient mal l’urne la plus médiocre, le jugement le plus faux, l’intelligence la plus bornée et la plus

  1. Lettre de Mercy-Argenteau du 28 juin 1774. Passim.
  2. Lettre du 14 juillet 1775. Ibid.