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La langue anglaise est pleine, directe, sans condescendance ; elle affirme, elle n’explique pas. C’est une langue d’infinitifs ; le sujet et le verbe se confondent, c’est-à-dire le mobile et lacté ; elle ne distingue pas, ne nuance pas ; elle frappe. J’admire beaucoup les lettres des hommes d’affaires anglais ; elles sont pleines de suc : le nécessaire est dit, rien que le nécessaire. Mais leur technicité un peu fruste se prête souvent à des interprétations diverses, même pour les nationaux ; et, si les intérêts s’en mêlent, il arrive qu’elle facilite, même de bonne foi, des retraites surprenantes. La langue anglaise est une personne autoritaire, un peu bourrue, qui parle par interjections et veut qu’on la comprenne à demi-mot.

Le diplomate britannique a, dans la négociation, une supériorité dont il use, non sans une certaine hauteur : la fermeté des vues qui tient à la stabilité gouvernementale. Cette unité admirable que forme l’histoire de l’Angleterre depuis deux siècles, donne, au moindre des insulaires, une foi en la supériorité de sa race, une certitude du succès, qui s’étonne, d’une façon quelquefois amusante, de la fermeté et du droit inverses de ses adversaires. Trop poli et humain pour faire sentir cette nuance, le diplomate anglais renferme son impression en soi-même : mais elle perce dans un éclair du regard, un geste, un demi-sourire qui avertit et met en garde. Sous cette ironie raffinée, le bluff est aux aguets.

En revanche, personne n’apprécie, comme l’Anglais, les affaires bien menées, les positions solidement prises, les réalités positives. Et puis, la personne compte beaucoup auprès de ces personnalités fortes. J’ai obtenu des résultats imprévus en présentant subitement, au cours d’une négociation, l’homme du fait ; il n’était pas besoin qu’il parlât : sa présence suffisait. La responsabilité est, aux yeux de ces maîtres hommes, une grande maîtresse et une grande autorité.

Sans m’appesantir sur ces observations qui ont toujours quelque chose de particulier et d’imprécis, je conclus en rappelant qu’avec les Anglais, il faut toujours traiter, mais toujours agir ; saisir et nouer promptement ; en tous cas, ne jamais perdre le contact, s’expliquer, insister, y revenir pour être assuré qu’on est bien compris, marcher sans détour et sans feinte, être exact pour être fidèle et compter sur la fidélité dans l’exactitude.