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avait réduit en esclavage des peuples serbes, et qu’il n’y aurait de sécurité dans les Balkans que quand on l’en aurait expulsée. M. Milovanovitch n’avait rien dit de tout cela, ou du moins il ne l’avait pas dit comme cela. Il n’avait pas reproché à l’Autriche d’avoir réduit des Serbes en esclavage, mais de se les être assujettis, en d’autres termes d’en avoir fait ses sujets : on conviendra que ce n’est pas la même chose. Les Herzégoviniens et les Bosniaques sont devenus les sujets de l’Autriche, mais non pas ses esclaves. Il est bien vrai que M. Milovanovitch a émis l’opinion que la péninsule des Balkans devait appartenir aux races qui les habitent actuellement, et que l’Autriche avait pour limites naturelles le Danube et la Save, mais il l’a énoncé purement et simplement, sans aucun mot blessant pour l’Autriche, et, dans les explications qu’il s’est empressé de donner, il a ajouté qu’il regretterait qu’on eût pu se méprendre sur sa pensée. L’Autriche s’est contentée de ces explications qui sont, en effet, très satisfaisantes, et tout le monde a respiré lorsqu’elle a déclaré l’incident clos. Si elle n’avait pas eu des intentions pacifiques, il lui aurait été facile d’aggraver l’incident au lieu de le clore : il lui aurait suffi de la laisser ouvert pour maintenir l’Europe dans l’inquiétude et la préparer aux secousses prochaines.

L’Autriche a donné bientôt après une preuve nouvelle, et plus éclatante encore, de ses dispositions. Le dernier acte diplomatique qu’elle a accompli enlève beaucoup de leur intérêt aux suggestions relatives à l’intervention officieuse d’une ou de plusieurs puissances. Après avoir amusé le tapis par les propositions inacceptables dont nous avons parlé, il y a quinze jours, elle en a fait enfin de plus sérieuses à la Porte. — Offrez une indemnité convenable, lui disions-nous : plaie d’argent n’est pas mortelle. — Elle a offert en effet une somme de 62 millions de francs, se référant aux propriétés de l’État turc en Herzégovine et en Bosnie. elle affirme que c’est son dernier mot, et que c’est à prendre ou à laisser. C’est là, pour la première fois, une offre réelle et ferme. Les 62 millions doivent être versés en monnaie solide, francs de toute retenue pour une cause quelconque, par exemple pour cause de réparations à donner aux commerçans boycottés. Cette offre constitue une base de négociations, et nous souhaitons qu’elle soit jugée telle à Constantinople. L’Autriche continue à ne pas vouloir entendre parler d’indemnité formelle ; elle repousse l’obligation de prendre à sa charge une partie de la dette ottomane ; elle méconnaît des principes qui ont à nos yeux une légitimité certaine ; mais, en fait, elle finance, et peu importe qu’elle