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pauvreté effrayait les prétendans et ses chances de devenir un jour reine d’Angleterre semblaient alors trop vagues pour compenser l’insuffisance de sa dot.

Toute sa vie, ses pensées furent hypnotisées par le lointain héritage, le rêve unique de sa longue existence, et, à mesure que la mort fauchait les héritiers directs du trône britannique, ce rêve prenait corps. Hautaine et impénétrable, l’Électrice de Hanovre était passionnément attentive aux événemens de l’île lointaine où ses ancêtres avaient régné : « Je mourrais satisfaite, disait-elle, pourvu que l’on puisse inscrire sur ma tombe : reine de Grande-Bretagne. » On ne l’inscrivit pas : Sophie mourut en vue de la terre promise, dont les splendeurs devaient la dédommager de ses longs déboires, deux mois seulement avant la reine Anne, dont elle était l’héritière.

Georges-Guillaume, duc de Celle, le frère aîné d’Ernest-Auguste, fit ur mariage moins brillant. Il s’éprit d’une Française, Eléonore d’Olbreuse, fille d’un gentilhomme huguenot du Poitou, belle, vive, spirituelle, d’humeur joyeuse.

Leur union ne fut d’abord qu’un mariage morganatique, ou plutôt une union libre, ratifiée par un contrat où le duc assurait, en cas de mort, une position avantageuse à « Madame de Harburg. »

Sous ce nom, la jeune Française fit son entrée à Celle, patronnée alors par l’altière duchesse Sophie qui devait tant la détester plus tard. La belle-sœur de Georges-Guillaume n’avait pas dédaigné de négocier son union avec la parvenue, et, en retour, le duc s’était imprudemment engagé à laisser son duché aux enfans de son frère. Dès lors, Ernest-Auguste et sa femme avaient tout intérêt à protéger Eléonore et à s’applaudir d’une situation qui mettait le duc de Celle dans l’impossibilité de contracter une union princière.

Sophie-Dorothée, l’unique enfant du duc Georges-Guillaume et de « Madame de Harburg, » naquit le 15 septembre 1666, au château de Celle. Deux cent trente-deux ans plus tard, jour pour jour, l’historien anglais, dont nous suivons les traces, visita Celle en souvenir de sa douloureuse héroïne. L’aspect des lieux a peu changé : le « Schloss » est toujours imposant, entoure des grands arbres du jardin et des douves avec leur eau dormante ; les rues étroites, aux maisons du XVIIe siècle, n’ont rien de moderne. Il y manque seulement le mouvement et la vie qui y