le rassure que cette sorte de sécheresse et d’impassibilité ; tout se passe donc bien par-dessous le monde sensible, à des profondeurs qui ne sont accessibles qu’à une action divine. Il n’éprouve pas de joie effective ; il « n’a ni peine ni consolation vive, tous ses sentimens sont émoussés. » Il apporte uniquement « un acquiescement simple, quelquefois même froid et sec, mais doux, prompt, facile, paisible, et qui est du fond du cœur. » C’est un oui, tout court, que ce oui qui « dit tout. » Il arrive, après bien des peines, mais tout de même il arrive à un état fixe où il demeure « uni à Dieu par le fond de la volonté. » Voici une bien belle déclaration : « Il me semble que je suis embarqué sur un fleuve rapide, qui descend vers le lieu où je dois aller ; je n’ai qu’â ne me laisser pas accrocher ni aux branches des arbres, ni au sable, ni aux rochers qui bordent le rivage. Le cours du fleuve fait le mien, et je n’ai qu’à ne pas m’arrêter ; il faut que je me laisse toujours porter, sans m’amuser ni aux contradictions, ni aux agrémens du dehors, ni à la sécheresse, ni à l’onction du dedans, ni au goût des vertus et de l’oraison, ni aux tentations, ni aux infidélités intérieures. Tout cela n’est que le rivage que l’on découvre en passant, où l’on ne pourrait s’arrêter un instant sans se raidir contre le courant de la grâce. »
Tout ce travail ne s’est pas fait en un jour. On voudra bien recourir au livre de M. Masson, pour y suivre d’étape en étape la marche de Fénelon. On y trouvera des détails touchans. On verra par exemple Fénelon embarrassé de savoir s’il doit solliciter pour « un pauvre neveu. » Il penche vers le désintéressement absolu, et il est porté à ne rien demander ni pour lui ni pour les siens, ni pour le pauvre neveu. Mais quoi ! ce désintéressement a été remarqué et loué ; et Fénelon craint que le mouvement naturel, qui le porte à ne pas « solliciter » pour le « pauvre neveu, » ne soit un mouvement déguisé d’égoïsme et de vanité. M. Masson nous dira encore d’une façon bien séduisante à quelle plénitude de joie le pur amour devait conduire l’ascension de Fénelon. (Nous imaginerons pourtant que M. Masson a un peu exagéré la joie d’un état que Fénelon qualifie parfois d’agonie sèche !) « Le christianisme ainsi pratiqué, écrit donc M. Masson, devient une religion de la joie. Il ne détruit pas l’extérieur de ceux où il s’implante, c’est-à-dire, il les conserve au dehors tels que la nature les a faits. Au dedans, leur âme renouvelée et libérée de tout sentiment servile a déjà « un