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l’Autriche occupe ses deux provinces et la Porte ne peut même pas avoir l’idée de les lui disputer. Alors, elle a cherché un moyen de défense et l’a trouvé dans le parti pris des commerçans ottomans de boycotter les marchandises autrichiennes. Ce parti pris est-il né spontanément ? A-t-il été le résultat d’un mot d’ordre donné par le Comité des Jeunes-Turcs ? On ne sait : en tout cas, son application a été singulièrement efficace et le commerce autrichien a subi de grandes pertes. On s’est fâché à Vienne, on a menacé de rappeler de Constantinople l’ambassadeur austro-hongrois, on a eu recours à divers moyens d’intimidation ; mais le gouvernement ottoman a répondu qu’il n’était pour rien dans le boycottage et qu’il ne pouvait pas obliger ses ressortissans à acheter des marchandises autrichiennes. Et que peut l’Autriche elle-même ? Menacer, oui ; frapper, non ; aussi ne craint-on pas ses menaces. Le boycottage se ralentit lorsque les négociations ont meilleure tournure, et recommence de plus belle lorsqu’elles subissent un arrêt, ce qui est le cas actuel. Le boycottage est l’arme des faibles. Malheureusement, ce régime entretient entre les deux pays de l’amertume et de l’aigreur dont leurs rapports risquent de se ressentir longtemps.

Tel est l’état des négociations entre l’Autriche et la Porte : il n’est pas beaucoup meilleur entre celle-ci et la Bulgarie. Une protestation est venue de Solia contre le discours du Sultan à l’ouverture du Parlement. Cette ouverture a eu lieu le 17 décembre, date importante dans l’histoire de l’Empire ottoman. Nous ne savons pas encore ce que l’histoire en pensera : il y a tant d’incertitudes dans le développement ultérieur d’une révolution quelconque qu’on est obligé de suspendre son jugement. Mais on n’est pas obligé de faire taire ses sentimens : ils seraient peu généreux s’ils ne prenaient pas, à l’égard de la Jeune-Turquie, la forme d’une sympathie sincère et profonde Quoi qu’il arrive plus tard, les premières manifestations de la liberté dans un empire asservi depuis des siècles, et dont l’asservissement avait pris dans ces dernières années le caractère le plus odieux, ont eu un caractère de grandeur véritable. Jamais encore on n’avait vu autant de modération dans la force, car la Jeune-Turquie a eu, elle aussi, pendant les premiers jours surtout, un pouvoir absolu et n’en a point abusé. Elle mettra le sceau à l’admiration qu’elle a méritée si, après avoir donné un gouvernement à la Turquie, elle abdique elle-même, laissant le mouvement se prolonger dans le cadre de la Constitution et suivant les conditions que celle-ci a fixées. Quoi qu’il en soit, la fête de l’ouverture a été brillante : on n’avait encore