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les jours héroïques de la Délégation des gauches, où tous les obstacles disparaissaient comme par enchantement devant la volonté de M. Jaurès et la passivité de M. Combes, elles se sont demandé si le moment n’était pas venu de retirer ce vieil instrument de la remise où il dort, et de le remettre en usage. On s’est beaucoup agité, dans les couloirs, autour de cette idée, et un beau jour le bruit a couru que, semblable au phénix, la Délégation des gauches allait renaître de ses cendres : excellente matière à mettre en articles de journaux. La presse, en effet, a beaucoup parlé de cette résurrection ; mais on n’a pas tardé à s’apercevoir que l’impression produite par la grande nouvelle n’était nulle part très profonde. Les modérés n’en ont pas été extrêmement effrayés, et les radicaux et radicaux-socialistes n’en ont pas témoigné une de ces satisfactions sans mélange, qui remplissent le cœur d’allégresse et de confiance. Manquerait-il donc quelque chose à la Délégation des gauches d’aujourd’hui pour remplir le même rôle que celle d’autrefois ? Oui, sans doute. Il lui manque d’abord une de ces questions très simples sur lesquelles on peut vivre longtemps, commet était la question cléricale. Les question s’aujourd’hui posées sont beaucoup plus complexes : au lieu de toucher aux passions qui unissent, elles touchent aux intérêts qui divisent. Il manque aussi à la nouvelle Délégation d’avoir en face d’elle un gouvernement naturellement domestiqué ou facilement domesticable, comme était celui de M. Combes. M. Clemenceau a de grands défauts, mais il a l’humeur indépendante, un peu cassante même et agressive, et ne se laisse pas mener comme un chien en laisse. Il manque enfin à la Délégation le concours des socialistes unifiés. M. Jaurès était le vrai chef de l’ancienne Délégation, à laquelle il apportait un élément très actif. Un jour est venu, où, après s’être vus trop longtemps et de trop près, les socialistes unifiés et les radicaux se sont inspiré une égale répulsion. Les frasques antipatriotiques de M. Jaurès ont paru décidément trop compromettantes aux radicaux ; ils ont décidé de rompre, ne fût-ce que pour la forme ; mais ils auraient désiré conserver à la fois les bénéfices de la rupture et ceux de l’union. C’est pourquoi ils ont répété à qui mieux mieux qu’ils ne se connaissaient pas d’ennemis à gauche. Les socialistes unifiés ont bénéficié de cette déclaration. Ils restaient, en dépit de toutes les excommunications, un parti avec lequel on trafiquait. Les radicaux espéraient par là les désarmer, mais c’est en quoi ils se sont trompés. Deux élections qui viennent d’avoir lieu dans deux départemens assez éloignés l’un de l’autre, l’Aveyron et