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Mais surtout dans l’Incarnatus, dans le Crucifixus, qui définira le rapport entre la force des sons et la force de l’âme ! Par le sentiment autant que par l’esprit ou la science, il n’est rien au-dessus de telles pages. Les mystères que chante cette musique ne sont guère plus incompréhensibles que n’est le mystère même de sa propre beauté. Elle chante, mais elle médite aussi, elle commente, elle interprète. Pour exprimer la descente de Dieu sur la terre, tout s’abaisse et descend. Vous plaignez-vous peut-être qu’il n’y ait ici qu’une imitation matérielle ? Écoutez comme à la fin au contraire, et par trois fois, sur les mots : et homo factus est, la musique se relève, pour marquer, je n’ose dire l’effort ou la difficulté de la démarche divine, mais au moins tout ce que la raison humaine y peut trouver d’inouï, de pénible et de rebutant.

Triste déjà, d’une prophétique tristesse, l’Incarnatus a préparé le deuil tragique du Crucifixus. Celui-ci maintenant, plutôt que d’éclater, se déroule et se traîne. Il consiste beaucoup moins dans une clameur que dans un continuel et contagieux murmure. Deux notes descendantes, et dont la première porte, pèse sur l’autre, voilà toute la mélodie. Il ne saurait y en avoir de plus brève, et malgré cela de plus forte. Les quatre groupes du chœur la reprennent, ou mieux, car elle tombe sans cesse, la répandent tour à tour. Crucifixus ! Crucifixus ! Il est juste que toute créature répète le mot, la chose s’étant accomplie pour toute créature. Longuement la polyphonie se développe. Flottante, mais sans rien de vague, elle évolue dans le clair-obscur des sons. Les voix, qui cheminent, tantôt se croisent, tantôt se heurtent et se blessent. Un cri leur échappe alors, aussitôt réprimé. Tout fléchit, tout manque de plus en plus, et sur les dernières paroles : et sepultus est, une modulation imprévue, extraordinaire, étend la pâleur de la mort et le froid du tombeau.

Il n’est pas jusqu’aux parties scolastiques, celles qui pourraient être arides et sombres, où ne rayonne la lumière, où ne surabonde la vie. La gigantesque fugue du Kyrie, le finale du Gloria, l’épisode central et comme la flamboyante rosace du Credo, chacune de ces choses énormes n’est point un ensemble de formes vaines, mais de forces réelles, agissantes, un monde colossal en mouvement et qui ne se meut que pour nous émouvoir. « Il y a de la géométrie en tout, » disait Leibnitz. Et sans doute il y en a dans cette musique. On y trouverait même de l’astronomie et, vers la fin du Gloria, à compter de ces mots : cum sancto Spiritu, les masses polyphoniques semblent rouler à travers l’espace comme autant de soleils sonores. Mais la