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Prenons guide que là le raffinement peut bien être un signe d’énervement et un symptôme de décadence, comme la subordination étroite et dure de la personne individuelle à trop d’exigences de l’ordre public est un commencement de retour vers une vigueur jeune, mais quelque peu barbare. Concilier le point de vue du droit public et celui de la personne, le droit de la défense sociale et le droit du coupable à un pardon dont l’espérance est liée à la possibilité de l’amendement, est-ce là un rêve irréalisable ? Il ne le serait pas si la société qui demande à bon droit qu’on punisse se préoccupait un peu plus de prévenir et d’amender, de prévenir par un meilleur système d’éducation, d’amender par un meilleur système pénitentiaire et par une plus grande liberté du patronage. Il ne le serait pas si le gouvernement voulait bien reconnaître que réprimer est sa tâche à lui, qu’il ne doit pas chercher, en la négligeant, à se procurer des économies ruineuses, mais qu’il doit d’autre part assurer largement, dans le domaine des œuvres charitables, une action dont il est incapable de se charger. Il ne le serait pas enfin si on jugeait selon ses mérites une doctrine à laquelle on a reproché tour à tour un esprit d’oppression et un esprit d’individualisme dont elle est également éloignée. Cette doctrine-là dit bien à chacun de nous : « Qu’avez-vous que vous n’ayez reçu de Dieu et de sa grâce, et dont vous ne deviez rendre compte ? Qu’avez-vous que vous n’ayez reçu des traditions de vos aïeux, des exemples de vos pères, de l’action de vos concitoyens ? » Mais en même temps, elle professe que chaque âme humaine est d’un prix infini parce qu’elle a été rachetée par un divin sacrifice, que dès lors elle est responsable de l’emploi qu’elle fait des dons reçus. Elle conclut que c’est également les respecter toutes dans leur ensemble que de préserver virilement celles qui sont encore intactes contre la contagion malfaisante de celles qui ne le sont plus, mais sous cette réserve de traiter ces dernières comme des volontés qui ont été libres et qui peuvent encore le redevenir, ne fût-ce qu’au dernier moment.


HENRI JOLY.