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cette dernière, c’est d’abord de savoir qui doit décider dans les cas particuliers. Médecins et magistrats se renvoient réciproquement les uns aux autres la tâche épineuse. Le bon sens pourtant ne doit pas avoir grand’peine à les mettre d’accord. Il est évident que le magistrat ne peut tout savoir et qu’il doit souvent réquisitionner, en quelque sorte, les lumières des spécialistes, mais qu’ensuite c’est à lui à prendre la responsabilité de la décision : c’est sa fonction et l’on aurait dit autrefois qu’il a pour elle grâce d’état. Mais, dira-t-on, le rapport de l’expert pourra lui-même ne donner qu’une conclusion hésitante, et il faudra cependant que le juge se décide.

En effet, c’est là un des cas nombreux où les nécessités impérieuses de l’action priment les vraisemblances du raisonnement et en font cesser, pratiquement au moins, les divergences. Mais pourquoi ne pas proportionner la nature de la solution à la nature des données ? Le cas de l’accusé est douteux ? Réservez lui donc un de ces lieux de détention d’une nature douteuse : tel serait « l’Asile de sûreté » réclamé à bon droit par tant d’aliénistes à qui la matière est devenue si familière pour l’avoir suivie du dépôt de la prison à l’asile, et pour avoir retrouvé si souvent dans les prisons des meurtriers qu’on avait fait sortir de l’asile à moitié guéris. N’en demandons pas davantage.

Il est cependant des esprits fort distingués auxquels cet aveu d’incertitude pèse tellement qu’ils veulent à tout prix y mettre fin. M. le professeur Grasset ne voit pas pourquoi on ne soumettrait pas un meurtrier ou un incendiaire soupçonné de folie à un traitement double et simultané, de même (c’est une objection qu’il me fait le grand honneur de me poser personnellement) qu’on traitera tel malade en même temps pour une bronchite et pour une entorse. Puis-je me permettre de répondre, en profane, que si certaines maladies ne sont pas inconciliables et permettent au sujet de se prêter en même temps à deux traitemens, il est des maladies et des médications qui s’excluent ? N’est-il pas même des cas où la première des deux méthodes entre lesquelles on hésite, risque bien, si elle est employée à faux, d’empêcher le succès de la seconde ? On ne soignera pas, je suppose, un même malade pour pléthore et pour anémie. Le crime et la folie coïncident-ils vraiment ? L’un est un état qu’on soigne parce que la volonté de l’individu n’y est pour rien ; l’autre est un état qu’on punit, parce que c’est la volonté