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bien compris. Il ne sert de rien de dire qu’ainsi l’enfant et le public se trompent également. Si l’on veut que la méthode adoptée soit efficace, il ne faut pas qu’ils se trompent ainsi, et il reste à se demander si c’est à leur propre faute ou à celle de l’autorité que l’erreur est imputable.

Cette action du juge, d’autres esprits la tiennent tellement en suspicion, ils l’estiment à tout le moins si dangereuse pour ces frêles natures demandant à être redressées, non ébranlées ni brisées, qu’ils ne veulent même pas laisser l’enfance coupable soumise à l’appréciation du magistrat de droit commun. De là cette idée, très populaire en Amérique, de tribunaux spéciaux pour enfans et de la « mise en liberté surveillée » pour ceux qu’on n’a pas voulu laisser absolument dans l’état qui avait appelé sur eux l’attention de l’autorité. Si on se limite aux enfans jeunes, à ceux, par exemple, qui sont encore d’âge scolaire, c’est certainement une idée à essayer. Qu’il soit peu flatteur pour une société telle que la nôtre d’avoir recours aux pratiques d’un pays inondé de familles d’émigrans et de familles auxquelles il faut un certain temps pour se reclasser dans leur milieu d’adoption, il n’y a pas là de quoi nous arrêter. Quand le mal s’étend, rien ne sert d’incriminer la cause, il faut lutter comme on peut. Mais ici le succès suppose que le tribunal pour enfans aura été bien composé, que ses membres auront une autorité persuasive et réconfortante. Il suppose surtout que la « liberté surveillée » sera surveillée comme il le faut, sans tracasserie policière et sans complaisance intéressée ou paresseuse. Bref, la justification de la mesure substituée à la peine d’autrefois sera plus que jamais dans la valeur sociale du mode d’exécution.

Il faudrait d’autant plus s’appliquer à la rendre irréprochable que la précocité du mal risque bien d’en entraîner la ténacité. Nous arrivons là aux incorrigibles, à ceux du moins que la société peut déclarer tels à ses yeux, soit parce qu’ils ont comparu trop souvent devant les juges, soit parce qu’ils y ont comparu pour des entreprises criminelles portant la marque d’une dégradation profonde et invétérée[1]. Ramener à l’unité, systématiser tous les élémens des rechutes successives et de la tendance à les aggraver, serait difficile. En se bornant à ce qui

  1. Pour déclarer saint l’un des siens, l’Église demande ou une longue suite de vertus ou un acte qui, comme le martyre, résume un long et profond héroïsme. C’est le même principe... appliqué à des cas fort différens !