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mettre aujourd’hui, c’est avant tout et presque à l’exclusion de toute autre chose, la défense des classes laborieuses. A beaucoup d’égards, il est certain que les siècles antérieurs avaient laissé plus d’une lacune à combler, plus d’un abus à supprimer. Il est certain que les intérêts du travail et du travail réduit à ses moyens tout à fait actuels ont été dans le droit public antérieur un élément trop sacrifié. Cet élément prétend aujourd’hui conquérir non seulement l’égalité, mais la primauté en substituant ses privilèges à ceux dont il se plaignait. Il entend sacrifier la propriété, comme la propriété avait un instant voulu tout réduire aux droits de l’argent et y subordonner le droit de suffrage, comme les classes dirigeantes avaient supprimé le droit d’une autorité traditionnelle, comme cette autorité enfin avait voulu souvent se subordonner les droits de la conscience et s’approprier l’héritage de l’autorité religieuse mutilée ou asservie.

Toutes ces destructions successives étaient-elles donc nécessaires ? Et chacune d’elles a-t-elle donc tant profité à ceux qui ont essayé de la consommer ? L’héritage de leurs victimes les a-t-il vraiment si enrichies ? Les a-t-il rendues si heureuses ? De destruction en destruction, nous en arrivons à cet individualisme auquel le socialisme même permet on ne peut mieux de vivre au jour le jour, car il le dégage de toute prévoyance, il lui laisse espérer l’impunité de toutes ses fantaisies, il se charge du soin de réparer les résultats de ses écarts ; mieux encore, il lui sait gré de pratiquer l’union libre et d’abandonner ses enfans à la collectivité.

Quand on aura goûté quelque temps ce beau régime, le temps reviendra sans doute où l’on trouvera original et nouveau de pratiquer ce qu’enseignaient les sages d’autrefois. On se demandera si l’individu n’est pas plus fort quand il s’est encadré dans une famille une, permanente et indissoluble, si la famille n’est pas plus respectée dans un Etat ayant le souci constant de son indépendance et de son unité, si les travailleurs n’ont pas plus à profiter de la richesse que de la gêne des patrons, s’ils n’ont pas plus à bénéficier de la vitalité d’une élite que de son étouffement, si les classes plus élevées n’ont pas tout intérêt à respecter les traditions héréditaires, et si le pouvoir civil n’est pas d’autant plus assuré de l’efficacité de son action que le pouvoir religieux est plus maître de ses enseignemens pacificateurs. Ainsi, loin de sacrifier aucune des conquêtes, on les replacerait