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Puis la nation elle-même se divinise : c’est elle qu’il faut adorer, c’est à elle surtout qu’il faut « sacrifier, » car il faut lui dénoncer non seulement les dissidens, mais ceux qui s’abstiennent de les livrer. Devant le tribunal révolutionnaire, la supérieure des carmélites de Compiègne veut excuser ses sœurs tourières, accusées d’avoir mis à la poste les lettres qu’elle adressait à son ancien aumônier déporté. « En leur qualité de femmes à gages, elles étaient, dit-elle, obligées d’exécuter mes ordres. » Mais le président l’interrompit avec violence : « Tais-toi, leur devoir était de prévenir la Nation ! »

Cette nation cependant, qui se prend ainsi elle-même pour terme de ses aspirations et de ses volontés, elle est alors bien loin d’avoir assuré son unité morale (elle la cherche encore plus fiévreusement que jamais à l’heure actuelle). La bourgeoisie, qui va remplir d’elle et de son action le XIXe siècle tout entier, est assurément un corps ouvert, et la propriété à laquelle elle tient tant demeure accessible à tous, mais cela est vrai en droit plus qu’en fait. Aussi des appétits nouveaux vont-ils menacer à leur tour cette nouvelle forme de l’ordre public. Pour les prophètes de demain, l’ordre bourgeois n’a songea punir que ceux qui touchaient au mariage bourgeois, à la propriété bourgeoise, à l’éducation bourgeoise, au patronat bourgeois, aux conventions bourgeoises, aux contrats, rédigés et interprétés pour la seule satisfaction des bourgeois. Le moment, disent-ils, est venu de supprimer ou d’alléger considérablement les peines frappant les non-propriétaires et de punir plus sévèrement les infractions commises non seulement contre les droits acquis des travailleurs, mais contre les efforts qu’ils font pour conquérir des droits nouveaux. Ici s’esquisse et se précise peu à peu devant nous tout un nouveau code pénal. Il a été d’abord en germe dans les revendications des syndicats. Maintenant il grandit, il se développe, il fructifie dans plus d’un document législatif. Enfin, le parti socialiste allemand tenait l’année dernière à Mannheim un congrès spécial où il discutait et votait tout un plan de législation. Il vaut la peine de s’y arrêter, car c’est là ce que nous avons de plus réfléchi et de mieux coordonné dans les essais de transformation de notre vieux droit criminel.

Qu’est-ce donc qui, dans cet essai, tend à constituer l’ordre public et à régler les pénalités destinées à le défendre ? Ce n’est plus la chrétienté, ce n’est plus la monarchie, ce n’est plus ni